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en Astrologie Naturelle

Les innovations des XIXe & XXe siècles
Histoire des Aspects

Pendant plus de 2500 ans les astrologues n’ont eu qu’une notion intuitive et empirique de ce qu’est la réalité objective d’un Aspect. Ils se bornaient à en constater empiriquement certains effets réels et à en imaginer d’irréels. Très rares et très embryonnaires ont été les tentatives de conceptualisation et donc de théorisation, comme celle exposée par Ptolémée au IIe siècle et celle proposée par Kepler au XVIIe. Toutes deux ont débouché sur des explicatives erronées et des échecs. Ce n’est qu’au XXe siècle que le concept d’Aspect a commencé à être véritablement élaboré, permettant de distinguer le vrai du faux dans les antiques et traditionnelles notions et de formuler une théorie explicative rationnelle à travers une conception d’ensemble de l’astrologie. La conception et la représentation graphique contemporaines des Aspects sont le produit d’une longue histoire, et l’idée même d’Aspect a évolué au cours des millénaires.

La fin du XIXe et les toutes premières années du XXe siècle voient apparaître deux innovations majeures dans la conception et la perception des Aspects et de leurs orbes. On doit le renouveau conceptuel aux astrologues anglais Zadkiel et Alan Leo, et la rénovation graphique, donc perceptive, à l’astrologue français Paul Choisnard. Ils ne se connaissaient pas et ignoraient très probablement leurs travaux respectifs. Cependant l’alliage simultané du conceptif et du perceptif qu’ils ont réalisé sans le savoir a bouleversé la vision des Aspects qui prévalait depuis trois siècles.

La vidéo ci-dessous (14′ 20″) est une animation commentée des avancées du XXe siècle.

L’innovation de Zadkiel suivie par Alan Leo

Commençons par l’innovation conceptuelle. L’astrologue britannique Zadkiel (Richard James Morrison (1795–1874) fut le premier, dans son livre The Handbook of Astrology paru en 1861, à très nettement opter pour des orbes déterminés par les Aspects eux-mêmes. Il distinguait les Aspects “partiles” (exacts) et les “plastiques” (avec orbe) et proposait des orbes égaux d’environ 5º à 7º pour toutes les planètes quels que soient les Aspects (et quand même de 10° pour ceux avec le Soleil et la Lune), sans plus de précision. Rompant avec la tradition née au XVIIe siècle, il ne mentionnait plus les étendues des orbes planétaires déterminées par ses prédécesseurs que brièvement, et à titre purement indicatif, dans un très succinct lexique astrologique à la fin de son livre.

Zadkiel était-il vraiment le premier à prôner ce changement de référentiel ? On ne le saura jamais. Notons au passage et pour la petite histoire que cet ancien lieutenant de la Marine Royale, passionné d’astro-météorologie et membre du très officiel Conseil de la Société Météorologique, publia aussi en 1868 un article intitulé Le nouveau Principe, ou véritable système de l’astronomie, où il est prouvé que la Terre est le centre immobile du système solaire, ce qui lui valut une réputation de charlatan (ici bien méritée) auprès des scientifiques.

La conception des orbes de Zadkiel fut reprise (sans mention de source) par le théosophe et astrologue anglais Alan Leo (1860–1917) dans un article paru dans le premier numéro de The Astrologer’s Magazine en août 1890. Leo étant beaucoup plus connu et pris au sérieux que Zadkiel, on finit par lui en attribuer la paternité après qu’il ait proposé dans un manuel son propre système d’orbes fondé sur les Aspects plutôt que sur les planètes.

Ce n’était pas une révolution, mais une transition entre l’ancien et le moderne, puisque ces orbes d’Aspects sont chez Léo modifiés par ceux encore imposés d’une manière assez importante par les planètes impliquées dans l’Aspect (alors que Zadkiel était plus radical). Mais désormais, cette nouvelle conception était lancée, et des orbes liés aux seuls Aspects purent être conçus, tout comme on put aussi concevoir de nouvelles pondérations planétaires affectant les orbes, d’une façon moins considérable qu’elles le faisaient quand elles s’imposaient sans partage. Bien entendu, cette conception des orbes se heurta à une sévère opposition des traditionalistes, mais elle finit par s’imposer.

Avant de donner les orbes préconisés par Leo, signalons aussi qu’il a fait un sérieux ménage dans la profusion des Aspects utilisés par de trop nombreux astrologues des siècles précédents. Très influencé par les travaux de Kepler, il n’en retient néanmoins que 10, ce qui est encore beaucoup mais constitue un réel progrès. Ce sont la conjonction, le semi-sextile, le semi-carré, le sextile, le carré, le trigone, le sesquicarré, le quinconce, l’opposition et enfin le parallèle de déclinaison. Ce dernier n’est d’ailleurs pas un Aspect à proprement parler, mais c’est dans cette catégorie qu’il classe cette distance angulaire rapportée à l’équateur terrestre. Dans cette liste il aurait pu et du éliminer le sesquicarré et le quinconce, qui ne font pas partie de la même famille harmonique que les autres. Mais cette découverte ne sera faite qu’environ 60 ans plus tard. Quant aux autres aspects kepleriens, “semi-sextile, quintile, bi-quintile, et ceux qui sont douteux”, il pense qu’ils “n’ont aucune influence à moins qu’ils ne soient exacts à un degré près”.

On passera ici les calculs auxquels se livre Alan Leo pour effectuer ses pondérations entre la part d’orbe causée par la planète et celle induite par l’Aspect lui-même. Le tableau ci-dessus en expose les résultats. Les orbes de Leo y sont comparés à ceux de William Lilly deux siècles plus tôt. Pour ne pas le surcharger, les Aspects mineurs après le semi-carré n’ont pas été pris en compte. Notons que Leo a souvent varié sans ses préconisations d’orbes : ce tableau n’en donne que la version la plus courante. Dans une des autres versions, il va par exemple jusqu’à conseiller un orbe de 17° pour les conjonctions avec le Soleil. En comparant les orbes de Lilly et celles de Leo, on constate que, tout en accordant des orbes plus étendus au Soleil et à la Lune qu’aux planètes, il a suivi une logique décroissante dans leur affectation aux Aspects. Il s’agit là d’un très grand progrès par rapport aux siècles passés, et d’autres plus tard le suivront dans cette voie inédite.

En reprenant à son compte l’idée de Zadkiel, Alan Leo a été associé à une avancée majeure sur le plan de la définition des orbes, certes, mais c’est sa seule contribution réellement novatrice à l’astrologie. C’était un bon vulgarisateur de l’astrologie classique, pas un théoricien ni un chercheur. Sa vision des orbes mise à part, ses conceptions, croyances et pratiques ne se distinguaient en rien de celles de ses collègues contemporains, si ce n’est qu’à la différence de ceux-ci, pour la plupart focalisés sur l’astrologique prévisionnelle, il préférait privilégier une approche essentiellement astro-psychologique. Mais en dehors de ces deux points qui faisaient son originalité, ce théosophe épris d’hermétisme était avant tout un conservateur.

L’innovation graphique de Paul Choisnard

L’astrologue, polytechnicien et soldat artilleur Paul Choisnard (1867–1930) est surtout connu pour être à l’origine des premières recherches astro-statistiques, ce qui était une innovation. Ses travaux étaient entachés de graves erreurs méthodologiques, et les résultats favorables à l’astrologie qu’il obtint ainsi furent par la suite à la fois partiellement confirmés (pour l’étendue des zones d’angularité planétaire) et pour le reste infirmés par des statisticiens plus sérieux. Mais ce n’est pas ce qui nous intéresse ici.

La représentation d’une chose, surtout dans un espace plan à deux dimensions, est toujours trompeuse. Elle ne nous donne à percevoir cette chose que sous un certain angle ou… aspect, et donc par la suite à la concevoir en fonction de cette perception. Nous avons déjà souligné, dans la section consacrée aux Aspects aux Angles, comment les plates images qu’on plaque sur les volumes réels pouvaient nous faire croire à la réalité des artifices perceptifs ainsi produits. Bref, comme l’a énoncé le philosophe, ingénieur et sémanticien Alfred Korzybski, “la carte n’est pas le territoire”, et il faut nous méfier de notre propension à concevoir le réel multidimensionnel à partir des images que nous plaquons dessus pour tenter, non seulement de le figurer, mais aussi de le comprendre.

L’ex-commandant d’artillerie Choisnard est bien placé pour savoir que les cartes militaires d’état-major, mises au point au début du XIXe siècle, étaient très utiles pour orienter les tirs de canons sur des objectifs invisibles, dont seule la position géographique probable est connue et dont l’altitude est figurée par des courbes de niveau. Il sait aussi qu’il faut tenir compte de quantités d’autres facteurs physiques, irreprésentables par une image plane, pour réussir des tirs au but.

Changement de référentiel graphique

De la carte d’état-major à la carte du ciel, il n’y a qu’un pas pour cet ancien militaire devenu astrologue, et il a tôt fait de le franchir. Voici ce qu’il constate en 1921, en ayant réfléchi devant les cartes du ciel traditionnelles, dans son livre La représentation du ciel en astrologie scientifique : “Les Anciens figuraient le Thème par un carré et des triangles. Les planètes notées par leurs longitudes sont figurées à un emplacement quelconque dans leurs ‘Maisons’ respectives. En somme, au lieu d’un zodiaque, où tous les éléments variables sont dessus à leurs places respectives – ce qui donne tout de suite l’idée de leur ensemble et de leurs rapports - on a ici une représentation complètement arbitraire, où les éléments zodiacaux, notés toujours d’après leurs longitudes, sont figurés à des places qui ne répondent à rien de scientifique. La figure ancienne supposait le ciel projeté sur l’écliptique mais se gardait (on n’a jamais su pourquoi ?) d’exprimer cette projection dans son graphique.

Les figures ci-dessous illustrent ces “Thèmes en carré”. Celle de gauche, qui date de 1826, est un exemple de l’illisibilité de ce type de représentation des cartes du ciel. Celle de droite, tout aussi peu figurative et d’un format identique mais plus moderne, ne date que de 2006 et montre qu’il existe encore au XXIe siècle des astrologues qui l’utilisent.

Cette représentation quadrilatérale du Thème, qui ne permettait pas de faire une expérience perceptive directe et synthétique de la configuration du ciel, a fait l’objet de deux timides réformes vers la fin du XIXe ou début du XXe siècle. Certains astrologues se sont enhardis à en créer une version circulaire, mais qui était toujours focalisée sur les Maisons comme elles l’étaient depuis au moins vingt siècles. Puis d’autres ont fini par estimer que cette représentation, que sa forme fut quadrilatère ou circulaire, privilégiait exagérément les Maisons au détriment du zodiaque. Ils créèrent donc une nouvelle représentation circulaire du Thème, dans laquelle les 12 Maisons étaient entourées par le cercle zodiacal, où les positions planétaires étaient notées sur l’écliptique. Mais la représentation des Aspects y était toujours absente, puisque tout l’espace intérieur au cercle zodiacal était occupé par la situation des planètes en Maisons, et que le cercle central s’était simplement substitué à l’ancien carré central pour y inscrire les données natales du Thème.

Choisnard critique ces réformettes cosmétiques : “Certains astrologues modernes remplacent la figure carrée des Anciens par une variante circulaire un peu moins obscure mais qu’il ne faut pas confondre avec notre représentation. Elle a bien, en effet, des compartiments circulaires mais toujours comme l’ancienne réservée aux Maisons astrologiques et non aux Signes du zodiaque. En résumé nous sommes en présence de deux procédés fondamentaux de représentation ayant pour base commune douze compartiments : mais ceux-ci correspondent pour l’un aux Signes du zodiaque et pour l’autre aux Maisons astrologiques. Dans l’ancienne figure on inscrivait, en somme, les éléments du zodiaque sur les Maisons fixes, tandis que dans la nouvelle que j’ai admise, on inscrivait les Maisons sur un zodiaque invariable.

Lui-même a en effet opté pour une solution plus radicale qui fait de lui un pionnier de la cartographie astrologique. Il a décidé de positionner les Maisons à l’extérieur de la roue zodiacale et de ne conserver que la notation discrète de leurs cuspides qui en indiquaient les limites, ainsi que de faire clairement figurer l’horizon et le méridien en superposition du plan écliptique ; et enfin il a supprimé le cercle central dédié aux données. Ce faisant, il a libéré au centre un vaste espace où il est désormais possible de représenter les Aspects.

Les deux figures ci-dessous illustrent ce changement de référentiel graphique. Celle de gauche représente la carte du ciel natale de Choisnard réalisée en 1930 par l’astrologue Gustave-Lambert Brahy, et celle de droite la même carte produite par notre logiciel Astrosoft en 2019. On en perçoit aisément les similitudes et les différences. Celle de droite est conforme à la révolution graphique de Choisnard : elle est beaucoup plus riche en informations directement perceptibles, elle met clairement en valeur les Planètes et leurs Aspects et permet donc d’avoir une meilleure vision synthétique du Thème. En regardant celle de gauche au contraire, il faut faire un effort mental pour parvenir à se représenter les systèmes d’Aspects qui relient entre elles les planètes. Dans certaines circonstances, “un bon croquis vaut mieux qu’un long discours” (phrase attribuée à Napoléon Bonaparte).

Toujours dans le même livre dans lequel il récapitule ses dizaines d’années de recherches, Choisnard confie que cette révolution graphique ne s’est pas faite en un jour : “Dès le début de mes travaux j’ai été amené pendant plusieurs années à joindre ma ‘représentation’ à la figure ancienne aux 12 triangles jusqu’au jour où il m’a paru inutile de conserver cette dernière et où j’ai adopté définitivement un zodiaque fixe à l’exclusion de toute autre figure.

Tout aurait été pour le mieux dans le meilleur des mondes graphiques s’il n’avait pas eu ensuite l’idée, dont il ne démordra ensuite plus jamais, de positionner invariablement le zodiaque à 0° Bélier et à gauche de la carte du ciel. Il s’en explique : “j’estime rationnel et d’une utilité pratique incontestable le fait d’orienter invariablement le zodiaque. Il faut être logique : quel est le but de la figure céleste ? Il a toujours consisté essentiellement à représenter les Signes zodiacaux, les planètes, le méridien, l’horizon, les pointes de Maisons astrologiques, et tous les autres éléments qu’on voudra, d’après leurs longitudes géocentriques. On ramène tout, en somme, à une projection sur l’écliptique. Or la longitude géocentrique d’un élément du ciel étant l’arc de cercle qui le sépare du point équinoxial 0° du Bélier il ne semble pas arbitraire du tout de rapporter graphiquement les mesures à un point fixe de la figure représentant précisément le 0° Bélier.

On ramène tout, en somme, à une projection sur l’écliptique

Signalons aussi que cette représentation cette fois très contestable, puisque l’horizon n’y est plus que parfois… horizontal, résulte aussi de son choix de se lancer dans des études statistiques et ainsi d’avoir une carte du ciel dont le zodiaque est toujours orienté identiquement à des fins de comparaisons. Ce qui ne peut se comprendre que si “on ramène tout, en somme, à une projection sur l’écliptique”. Et ce en quoi Choisnard s’est trompé en ce qui concerne les positions planétaires dans la sphère locale, qui sont aussi déterminées par les latitudes écliptiques… mais c’est là une affaire que nous aborderons plus tard. Les deux figures ci-dessous illustrent ce changement d’orientation conduisant à une… désorientation perceptive. Dans celle de gauche, l’horizon est horizontal, l’AS à gauche, le DS à droite, la culmination supérieure (MC) en haut et la culmination inférieure (FC) en bas. Dans celle de droite qui a finalement eu la préférence de Choisnard, l’horizon est fortement incliné, le MC se retrouve en bas et le FC en haut contre toute logique astronomique, mais aussi perceptive.

Que le repère fixe zodiacal soit l’Ascendant (Thème de gauche) ou le 0° Bélier (Thème de droite), les nouvelles représentations de la carte du ciel imaginées par Choisnard se sont peu à peu imposées comme un standard quasi universel. L’antique figure composée d’un carré et de 12 triangles, qui avait perduré pendant plus de deux millénaires et façonné les conceptions et perceptions de générations d’astrologues, n’est quasiment plus utilisée. Choisnard aurait certes préféré que ce soit le repère fixe zodiacal du 0° Bélier qui devienne la norme, mais la logique perceptive de l’horizon horizontal a graphiquement triomphé : elle est celle qui est proposée par défaut dans l’affichage des Thèmes de la quasi-totalité des logiciels astrologiques.

L’ingénieur, l’artilleur & l’espace-temps du Thème

Paul Choisnard n’est ni un graphiste professionnel ni un artiste. Il n’a donc pas opéré cette mutation radicale dans la représentation des Thèmes sur la base de choix esthétiques. Ingénieur polytechnicien de formation, il l’a fait dans le but de donner une forme pertinente à sa volonté de rationaliser l’astrologie et de faire entrer dans le champ de la recherche scientifique, notamment par le biais d’études statistiques. Il lui faut pour cela en dénombrer et classer strictement les divers facteurs qui la composent. Officier artilleur de métier, il lui a paru indispensable d’avoir une carte aussi précise et fidèle que possible pour évaluer rationnellement ce territoire qu’il entend cartographier pour l’attaquer et le conquérir. C’est là un profil peu commun parmi les astrologues, qui depuis plus de vingt siècles se recrutaient généralement chez les astronomes, philosophes, mathématiciens, théologiens, poètes ou ésotéristes. Et c’est à travers le prisme de cette formation et de ce métier d’ingénieur-artilleur militaire qu’il entreprend d’étudier systématiquement l’astrologie au début des années 1890, quand il prend sa retraite de l’armée.

L’ingénieur Choisnard commence par répertorier systématiquement les facteurs astrologiques dont il fait l’inventaire raisonné : “Choix limité, et tout au moins provisoire, des facteurs simples en astrologie, comprenant trois classes distinctes : les 11 positions zodiacales, les 9 positions en Maisons et les 54 distances angulaires. Ces 74 facteurs constituent une première base d’étude offrant déjà un champ très étendu de recherches, et portent sur les éléments astronomiques les plus nets et les plus accessibles aux statistiques. La méthode d’investigation proposée pourrait d’ailleurs s’appliquer à toute autre catégorie d’éléments dont on cherche la correspondance.” Les 11 positions en Signes sont celles de l’AS, du MC et des 9 planètes alors connues (Pluton ne sera découvert qu’en 1930, année de la mort de Choisnard). Quant aux 54 distances angulaires, elles sont en rapport avec les 36 Aspects entre planètes, dont il ne retient que les 6 majeurs, et les 18 Aspects que forment les planètes alors connues avec l’AS et le MC.

Une standardisation des orbes fondées exclusivement sur les Aspects

Puisque la focale est ici avant tout mise sur les Aspects et leurs orbes, remarquons que dans cet inventaire répertorié et chiffré, Choisnard se débarrasse des Aspects mineurs et aux cuspides des Maisons, mais conserve ceux à l’Ascendant et au Milieu-du-Ciel. Rompant cependant avec le système prudentiel et composé proposé par Leo, il adopte ouvertement “pour toutes les planètes d’un orbe uniforme et moyen pour représenter la limite angulaire de leur influence réciproque”. Précisons que cet orbe était variable pour chaque Aspect : il est donc le premier à proposer une telle standardisation des orbes fondées exclusivement sur les Aspects. En prenant cette décision de mesure unique et radicale, il fait probablement preuve d’une certaine dé-mesure. Mais ce faisant, il a franchi un cap décisif dans l’évolution du concept d’Aspect. Désormais, la notion selon laquelle les orbes sont avant tout déterminés par les Aspects eux-mêmes va progressivement s’imposer. Et soulignons qu’en privilégiant ainsi les Aspects, à la fois conceptuellement et graphiquement, il se situait dans le droit fil de la tradition keplerienne, dont il admirait et respectait l’esprit sinon la lettre.

Signalons aussi qu’il opère une distinction majeure entre le concept d’Aspect et celui de présence d’une planète à proximité de l’AS, du MC, du DS et du MC qui définit son angularité, donc son caractère prédominant. Pour lui cette présence n’est pas un Aspect, contrairement à ce qu’avaient fini par penser la plupart des astrologues avant lui. Il préfère utiliser le terme de “voisinage” : “Le maximum d’intensité correspond au voisinage du méridien ou de l’horizon à 10° près environ (en Maisons cardinales ou bien cadentes), MC et AS offrant les places les plus importantes à cet égard.” Mais paradoxalement, il continue à utiliser des Aspects aux Angles, ce qui signifie que pour lui, une planète dans le voisinage d’un Angle est aussi en conjonction avec lui, ce qui est contradictoire. Il n’a pas explicitement et précisément fait état de cette contradiction flagrante, ce qui est regrettable pour l’ennemi du flou qu’il est.

Par ailleurs, les statistiques entachées d’erreurs méthodologiques qu’il a effectuées pour en arriver à cette conclusion l’ont néanmoins conduit à repérer que les planètes angulaires ne se situaient pas uniquement dans les Maisons cardinales I-X-VII-IV ainsi considérées comme “fortes” comme l’indiquait Ptolémée, mais aussi dans les Maisons cadentes XII-IX-VI-III, considérées comme “faibles” et donc dévalorisantes pour les planètes qui y étaient situées. Ce qui a été ensuite confirmé par les statistiques Gauquelin, qui ne souffraient, elles, d’aucune errance méthodologique sur ce sujet précis… En bref, Choisnard a ainsi fait, fortuitement et par des statistiques biaisées, une découverte fondamentale qui aurait du être considérée comme un artefact, mais qui s’est néanmoins avérée exacte !

Notons au passage que cet accent très moderne mis sur les angularités avant et après les Angles de la sphère locale n’empêchait pas Choisnard de rester très traditionaliste et dans son interprétation des effets de ces angularités, puisqu’à la suite immédiate de sa phrase citée dans le paragraphe précédent, il n’hésitait pas à affirmer que “Mars et Saturne dans l’une quelconque de ces quatre positions dites angulaires, sont mauvais. Jupiter ou Vénus, en MC et AS, sont bons.

L’artilleur Choisnard, lui, avait peut-être en tête, alors qu’il opérait sa réforme cartographique des Thèmes, cet écrit du lieutenant-colonel Borson, chargé en 1868 de faire des relevés topographiques en Savoie pour améliorer la précision et la fidélité des cartes d’état-major : “on cherchera naturellement à déterminer les crêtes par leurs points marquants et à fixer la position des thalwegs. Les formes générales du terrain et les accidents secondaires se dessineront ensuite plus ou moins à vue, mais on aura bien soin, dans les stations les plus importantes de dessiner un ou plusieurs profils, qui serviront à conserver la trace durable de l’aspect des lieux, et qui, réunis et coordonnés avec d’autres, permettront d’obtenir un figuré assez précis de la région.” Ce descriptif peut en effet parfaitement s’adapter à ce qu’on peut attendre d’une carte du ciel aussi proche que possible du réel astronomique.

L’omission du “relief” des latitudes écliptiques

Mais Choisnard, dans sa nouvelle représentation bidimensionnelle privilégiant le plan de l’écliptique, a négligé la nécessité de “dessiner un ou plusieurs profils” dans la station extrêmement importante que constitue la sphère locale. En d’autres termes, en privilégiant la cartographie “de face” du plan écliptique, il a négligé le relief “de profil” induit par les latitudes écliptiques. Or ce réel relief aurait demandé de créer un deuxième type de carte du ciel complémentaire du premier, dans lequel l’effet de ce relief sur les positions planétaires dans la sphère locale aurait pu être mis en évidence. Mais pour lui comme on l’a déjà noté, “on ramène tout, en somme, à une projection sur l’écliptique”.

Un exemple de ce problème est donné par le propre Thème de Choisnard. Dans sa projection sur l’écliptique, Pluton se trouve à environ 15° au-dessus de l’horizon en Maison VII. Cependant, en raison de sa forte latitude écliptique (–15° 28′ S), il se trouve en réalité à environ 8° de la même Maison, donc beaucoup plus proche de l’horizon qu’il n’y paraît, et plus encore si on prend aussi en compte sa hauteur (qui se calcule indépendamment des Maisons), qui est de +5° 24′. Et ce n’est pas parce qu’il ignore l’existence de cette planète encore non-découverte (il ne sait donc pas qu’il était “plutonien” !) qu’il néglige cette importante donnée. En effet, il sait que Vénus pouvait aussi avoir une importante latitude (plus de 8°) qui peut aussi affecter sa position en Maison et sa hauteur sur l’horizon. On en conclura qu’il n’a pas été au bout de ce qu’exigeait son entreprise de renouveau cartographique : il aurait du imaginer ce que plus tard on appellera le Thème de domitude, lequel prend en compte les latitudes écliptiques et permet pas conséquent d’avoir une évaluation beaucoup plus fidèle et précise des positions planétaires dans la sphère locale.

Les graphiques ci-dessus représentent le Thème d’écliptique (à gauche) et le Thème de domitude (à droite) de Paul Choisnard. Dans le Thème d’écliptique, les 12 Signes ont des étendues égales de 30°, mais celles des Maisons sont inégales : il s’agit d’une représentation qui privilégie le plan de référence zodiacal. Dans le Thème de domitude, c’est l’inverse : les 12 Maisons ont des étendues égales, mais celles des Signes sont inégales : cette carte du ciel privilégie le plan de référence de la sphère locale. Le Thème d’écliptique renseigne sur les positions planétaires en Signes et sur les Aspects, mais pas sur les positions réelles en Maisons. Le Thème de domitude renseigne sur les positions planétaires réelles en Maisons, mais pas sur les positions zodiacales ni sur les Aspects. Les deux cartes sont donc nécessaires et complémentaires. Négliger le Thème domitude, dans cet exemple, peut faire croire que Pluton est à 15° de la Maison VII, alors qu’il est en réalité à 8° et donc beaucoup plus proche de l’horizon.

Des orbes d’angularités planétaires mal définis

Allons plus loin dans cette coordonnée latitudinale, mais aussi dans le facteur temporel que Choisnard a négligés. En affirmant que “le maximum d’intensité correspond au voisinage du méridien ou de l’horizon à 10° près environ”, il se trompe lourdement, non sur l’orbe de 10° avant ou après les deux axes AS-DS et MC-FC ainsi définis, mais sur le référentiel qui détermine cet orbe. Il calcule en effet celui-ci en degrés de longitude écliptique, comme si tous ceux-ci défilaient d’Est en Ouest à la même vitesse.

Or il n’en est rien. Selon les heures de la journée, un même degré peut par exemple, sous une latitude terrestre de 45°, être parcouru en 6,66’ (6,66 minutes) ou en 2,92’ de temps, ce qui signifie que tous les degrés ne se valent pas en durée. Si comme Choisnard on détermine l’étendue de ces zones d’angularité sur l’écliptique - c’est-à-dire si on les calcule en nombre de degrés d’arc écliptique -, il faut alors tenir compte de ce facteur. Et ce facteur astronomique et temporel exige que ces orbes d’angularité soient plus larges pour les degrés de longitude zodiacale parcourus en 2,92’ de temps, et plus étroits s’ils sont parcourus en 6,66’. Mais si au contraire on détermine l’étendue de ces zones dans la sphère locale, dans laquelle ces données temporelles nycthémérales sont obligatoirement prises en compte dans les calculs de position, alors et alors seulement on peut leur donner des étendues de 10° uniformes si l’on a choisi cette limite.

De ce point de vue par exemple et sous la même latitude terrestre de 45°, une planète se levant à 0° Bélier (donc proche de l’AS) doit être comprise, pour être classée comme angulaire, dans un orbe d’une étendue plus que double de celle qu’elle aurait si elle se situait à 0° Balance. Le Bélier en effet fait partie des Signes de courte ascension (du 0° Capricorne au 0° Cancer) et la Balance de ceux de longue ascension (du 0° Cancer au 0° Capricorne). Plus la durée ascensionnelle d’un degré ou d’un Signe est courte, et plus il faut élargir les orbes d’angularité comptés en degrés d’écliptique et, plus cette durée est longue, plus il faut les diminuer.

Il s’ensuit que le plus simple pour déterminer ces orbes d’angularité est de les calculer dans la sphère locale. Celle-ci permet par ailleurs d’intégrer le paramètre des latitudes écliptiques dans ces calculs, lequel permet d’évaluer réalistement les positions planétaires si la sphère locale a été domifiée selon le système placidien, qui est fondé sur les durées des arcs diurnes et nocturnes en 24 heures et qui est par conséquent le plus cohérent pour ce faire. Les latitudes écliptiques sont alors dans ce référentiel un facteur déterminant pour positionner réalistement les planètes dans les Maisons. Si la latitude d’une planète est nulle (elle est alors exactement sur l’écliptique), cela ne change rien à sa position. Si sa latitude Nord est importante, elle se trouve alors plus haute sur l’horizon qu’elle paraît l’être dans la projection écliptique qui est celle du Thème classique, et par conséquent plus haute dans la Maison où elle se situe ou paraît se situer. Et c’est l’inverse si sa latitude Sud est importante.

Les cartes du ciel ci-dessous illustrent l’erreur de Choisnard dans sa définition des orbes d’angularité. Dans celle de gauche (Thème d’écliptique), elles se fondent sur les degrés de longitude écliptique des planètes : c’est la solution qu’il a choisie. Dans celle de droite (Thème de domitude), elles se fondent à la fois sur les longitudes et les latitudes, ne se mesurent que dans la sphère locale et sont plus étendues que celles de Choisnard.

En résumé, Choisnard a eu raison, comme tous les astrologues avant lui, de calculer les Aspects en degrés de longitude écliptique dans ce référentiel de coordonnées de la sphère céleste. Mais il a eu tort en déterminant ses orbes d’angularités avec les mêmes degrés sans tenir compte du fait qu’en 24 heures dans la sphère locale, tous ces degrés ne sont pas parcourus dans les mêmes durées. Et il s’est également trompé en ne tenant pas compte des latitudes écliptiques, non pour calculer les Aspects, mais pour calculer aussi précisément que possible les positions planétaires dans la sphère locale, donc dans leurs positions en Maisons et leurs hauteurs positives ou négatives sur l’horizon.

De plus les résultats des statistiques Gauquelin concernant les orbes d’angularités, une fois contrôlés et amendés par les observations tirées de l’expérience et de la pratique de véritables astrologues compétents, montrent que l’orbe de 10° avant et après les Angles AS-MC-DS-FC est trop étroit. Il semble qu’il vaudrait mieux admettre un orbe beaucoup plus large, d’environ 20° avant et après l’AS et le MC et au-dessus du DS, et un orbe de 15° au-dessous du DS et de part et d’autre du FC. C’est sur cette base expérimentale que sont en tout cas actuellement définies les orbes d’angularité de notre logiciel Astrosoft.

Les Thèmes ci-dessus illustrent les zones d’angularité définies par défaut dans notre logiciel Astrosoft. La carte du ciel de gauche vous est maintenant familière : il s’agit du Thème natal de Choisnard, dont l’Ascendant est à 28° Balance. Celle de droite a été calculée pour le même jour et au même endroit, mais pas à la même heure. L’Ascendant se trouve cette fois à 28° Bélier. La couleur orange délimite les zones d’angularité planétaire reportées sur l’écliptique, et les planètes en gris désigne les planètes non-angulaires On remarque que pour le Thème de gauche, la zone autour de l’AS Balance est très réduite : elle couvre environ 32°. Cet orbe d’angularité est une conséquence du fait que la Balance est l’un des Signes qui monte le plus lentement lors de son lever.

Pour le Thème de gauche, la zone autour de l’AS Bélier est très étendue : elle couvre environ 64°. Cet orbe d’angularité est une conséquence du fait que le Bélier est l’un des Signes qui monte le plus rapidement lors de son lever. Dans ce cas, Neptune en Maison XII qui paraît très éloigné de l’AS (environ 17°) en est en réalité très proche (environ 6°), et Pluton qui paraît proche de l’AS (environ 15°) et au centre de la Maison I se situe en réalité à environ 1° de la Maison II, donc beaucoup plus bas sous l’horizon, effet de son importante latitude écliptique Sud. C’est la raison pour laquelle il est affiché en gris : sa situation dans la zone orange de valorisation autour de l’AS et calculée en longitude écliptique n’est qu’une illusion.

Paul Choisnard ou l’échec de la scientificité astrologique

Par ses innovations graphiques, sa contribution à la définition des orbes des Aspects et des Angularités et la rationalité de sa démarche, Paul Choisnard a grandement contribué à faire progresser l’astrologie sur ces deux points au début du XXe siècle. Mais il n’a pas su comprendre que les latitudes écliptiques, dont le rôle est si déterminant dans le positionnement des planètes dans la sphère locale, demandaient la création d’un autre modèle de représentation du Thème qui aurait été utilement complémentaire de celui qu’il est, et c’est heureux, parvenu à imposer. Les latitudes écliptiques ont donc continué après lui à être un refoulé, voire une pierre d’achoppement de l’astrologie.

Choisnard, façonné par un scientisme naïf et une croyance dans la toute-puissance de la technique pure, voulait faire de l’astrologie un savoir scientifique. Dans son livre Le Langage astral, il déplorait que ce langage ait “malheureusement été faussé par la plupart des vulgarisateurs, ignorant presque totalement l’astronomie qui est la base, et la méthode scientifique qui en est la garantie.” Dans un autre ouvrage, L’astrologie et la logique, il opposait à raison deux approches différentes de l’astrologie : “Alors que l’école scientifique tient l’astrologie pour une science édifiée par l’homme avec ses moyens actuels, et donc réédifiable par lui grâce à un effort analogue, l’école occultiste estime au contraire qu’elle a été léguée à l’homme par des êtres plus puissants que lui, produits d’une évolution antérieure et supérieure, capables en un mot de clairvoyance et d’explorer jusqu’à ses limites le système solaire invisible et visible.” Il avait raison de critiquer ainsi l’approche irrationaliste de ce savoir, mais lui-même n’a pas toujours été rationnel dans sa démarche, il s’en faut de beaucoup.

Pour parvenir à ses fins, c’est-à-dire à faire de l’astrologie une science à part entière, il lui aurait d’abord fallu, après un inventaire sans concession, réformer profondément ce qui pouvait l’être dans le corps de doctrine archaïque sur lequel est bâtie l’astrologie traditionnelle. Or il ne l’a pas fait, alors que ce corpus vieux d’au moins vingt siècles est incompatible avec les critères sur lesquels se fonde la scientificité moderne. En d’autres termes, il ne lui est pas venu à l’idée de repenser, de re-théoriser radicalement l’astrologie et, tel un Kepler, de la débarrasser par exemple de ses 4 Éléments et de ses Maîtrises planétaires. Il n’a pas remis en question cet héritage, il l’a accepté comme un matériau brut sur lequel il pouvait exercer ses talents d’ingénieur et d’artilleur, c’est-à-dire de pur technicien.

Et même comme technicien, non seulement il n’a pas été rigoureux dans ses statistiques, mais en plus il a par exemple cru que celles-ci pourraient valider expérimentalement le fait que les génies naîtraient plus fréquemment que les autres avec une dominante zodiacale en Signes d’Air (Gémeaux-Balance-Verseau). Les siennes l’ont effectivement fait… mais il les avait consciemment ou inconsciemment biaisées pour parvenir à ce résultat que des statistiques ultérieures, plus rigoureusement menées, ont totalement infirmé. S’il avait repensé, re-théorisé radicalement l’astrologie, jamais il ne se serait hasardé à tester statistiquement une telle hypothèse, étant donné que non seulement la doctrine des 4 Éléments est en réalité étrangère à l’astrologie, mais aussi qu’elle n’a aucune espèce de scientificité. De plus ni le génie, ni l’imbécillité, ni la connerie ne sont inscrits dans un Thème natal.

Pour atteindre son objectif, il aurait fallu qu’en plus et surtout avant d’être cet ingénieur-artilleur-cartographe, il soit aussi un penseur de l’astrologie, ce qu’il n’a jamais été. Mais comme dans le cas de Kepler, cet échec a néanmoins été fécond, puisque son œuvre d’ingénieur et d’artilleur-cartographe de l’astrologie a permis à celle-ci de progresser sur le plan de la définition des orbes des Aspects et des Angularités, comme sur celui de la représentation des Thèmes.

Astrologue solitaire, marginal et incompris de ses collègues, non-traduit à l’étranger et quasi-inconnu des amateurs, Choisnard n’a pas fait école, et son œuvre est désormais injustement oubliée. Il est pourtant celui qui a fait accomplir à l’astrologie l’un de ses plus grands progrès au début du XXe siècle.

Une conception des Aspects régressive au début du XXe siècle

Les “dessins planétaires” de Jones ne sont pas des Aspects selon leur définition précise et contemporaine. À ce titre ils ne devraient pas être mentionnés ici. Mais après tout les angles zodiacaux de Ptolémée n’en sont pas non plus selon la même définition restrictive.

Si Choisnard a fait notablement progresser la conception des Aspects et de leurs orbes, l’astrologue et théosophe étasunien Marc-Edmund Jones (1888–1980) l’a incontestablement faite régresser. Le caractère consternant de son apport négatif à cette conception en particulier et à l’astrologie en général est si considérable que son œuvre ne devrait même pas être mentionnée ici.

Pourquoi le faire alors ? D’abord parce qu’un recul ou une régression sont tout aussi pertinents à étudier qu’une avancée et une progression, surtout s’ils se produisent dans la même période et concernent le même champ du savoir. Ensuite parce que Jones fut le mentor de Dane Rudhyar, fondateur de l’astrologie humaniste, école qui a fait un nombre considérable d’adeptes dans le monde entier et qui par conséquent a largement propagé l’aberrante conception des Aspects de Jones. Et enfin parce que dans cette conception des Aspects (ou plutôt des distances angulaires entre planètes ou groupes de planètes), ce ne sont pas les planètes que ceux-ci relient qui importent, mais la configuration elle-même de certains systèmes d’Aspects qui peut faire l’objet d’une interprétation, laquelle peut à l’extrême limite se passer totalement de planètes, de Signes et de Maisons. On pourrait appeler ça le cauchemar de Kepler”.

Une mise en scène spectaculaire

Il ne sera pas ici question de technique, de savants calculs, de résolution de problèmes astronomiques tels que ceux posés par les latitudes écliptiques (donc nous sommes un peu hors-sujet) et de cartographie. Marc-Edmund Jones n’a pas comme Choisnard une formation d’ingénieur et une carrière militaire d’artilleur quand il a commencé sa carrière de plumitif de l’astrologie : à ses débuts il est un prolifique et prospère auteur de nouvelles (short stories) et de scénarios de films pour Hollywood, dont aucun n’a laissé de trace inoubliable. Ce n’est pas une fatalité (après tout, on peut commencer comme scénariste et devenir un excellent astrologue), mais cette première carrière a fortement influencé, et de la pire manière qui soit, son approche des Aspects : celle-ci est fondée sur les seules apparences, une mise en scène spectaculaire et est donc très cinématographique. Il s’est contenté d’imaginer 7 séquences d’un film de pure fiction fondé sur des simulacres de systèmes d’Aspects, de faire de ceux-ci des acteurs à qui il a donné des noms percutants, et de scénariser l’ensemble.

L’illustration ci-dessous représente les 7 dessins planétaires (Jones patterns) de base. Il ne s’agit pas véritablement de systèmes d’Aspects, au sens où ceux-ci se fondent graphiquement sur les figures géométriques produites par certaines configurations particulières d’Aspects. Il s’agit plutôt d’une répartition générale (entre concentration et dispersion) des planètes dans 12 secteurs qui peuvent indifféremment être des Signes ou des Maisons. Bien entendu, d’authentiques Aspects peuvent s’inscrire à l’intérieur de ces systèmes, mais ce n’est pas l’essentiel.

Les influences très hypothétiques de ces formes géométriques, aux noms éclectiques et grotesques, peuvent être interprétées en tant que telles, c’est-à-dire indépendamment des Planètes, Aspects, Signes & Maisons qu’elles réunissent, autrement dit dans un vide sidéral et sidérant. Et nombreux sont les astrologues (notamment “humanistes”) qui ne s’en privent pas, croyant au pouvoir magique de ces images, ce qui est tout simplement insensé. Notons que certains adeptes ont trouvé que ce système limité à 7 types (qui correspondent, tenez-vous bien, à autant de types psychologiques) était trop limitatif et ont donc imaginé d’autres dessins basés sur d’autres distributions. Il est vrai que le procédé se prête à de très nombreuses variations sur les mêmes Thèmes.

Le regard se substitue à l’analyse

Ce système aurait pour qualité fondamentale, selon Alexander Ruperti, d’inciter le débutant à “regarder le thème globalement”, sans se perdre dans la complexité des configurations zodiaco-planétaires dans la sphère locale. Avec les dessins de Jones, effectivement, le regard se substitue à l’analyse. En regardant un Thème comme on visionne un film, on “voit” immédiatement qu’on a affaire à un type “Tape-cul” ou “Locomotive” et on peut immédiatement, sans aucune fatigue intellectuelle, en tirer des conclusions et une interprétation stratosphérique. Ce qui somme toute n’est pas si grave quand à propos de l’astrologie un inconditionnel du système de Jones est capable d’écrire que “Chaque manifestation de la vie jouit d’une forme qui lui donne son caractère essentiel (spirituel) et une signification déterminable en fonction de la manière dont elle se rattache dans son ensemble à la vie universelle” (Dane Rudhyar, L’astrologie de la personnalité).

C’est au cours des années 1970–80 que les “dessins planétaires” de Jones se sont peu à peu imposés comme une nouvelle technique d’interprétation chez les astrologues participant de près ou de loin de la mouvance de l’astrologie “humanistequi était alors en plein essor. Chez les plus tempérés, leur interprétation se superpose à celle des Aspects à laquelle elle apporte un cadre général. Chez les holistes les plus simplificateurs, elle peut s’y substituer.

L’une des caractéristiques des “dessins planétaires” est de pouvoir s’appliquer indifféremment à la sphère céleste ou à la sphère locale. Dans le premier cas, elle s’applique à la répartition des planètes sur l’écliptique et dans le second à celle dans les Maisons. Tant qu’on s’en tient à la représentation classique du Thème, les dessins sont identiques dans les deux cas, puisqu’elle privilégie le plan de l’écliptique. Mais si l’on applique les “dessins planétaires” au Thème de domitude, on peut avoir de grosses surprises. En effet, des planètes apparemment relativement éloignées les unes des autres sur l’écliptique (donc assez dispersées) peuvent être très proches (donc très concentrées) si l’on se réfère à leurs positions réelles dans les Maisons, ce qui peut faire basculer d’un “type géométrique” à un autre. Mais heureusement pour eux, la plupart des utilisateurs des “Jones patterns” ignorent ces subtilités du réel astronomique.

Pour conclure, notons que l’étude des effets hypothétiques de la concentration ou de la dispersion des planètes sur l’écliptique et/ou dans la sphère locale n’est pas ici mise en cause. Elle peut être un légitime objet d’étude. Ce qui est critiquable par contre, c’est l’effarant, délirant, fétichiste et irrationnel réductionnisme géométrico-interprétatif statique sur lequel débouche le système de Jones.

Les “Aspects composés” ou systèmes d’Aspects

Les “dessins planétaires” sont souvent confondus avec les “Aspects composés” ou mis dans la même catégorie, alors qu’il s’agit de deux notions différentes. Alors que les premiers ne s’appliquent qu’à la répartition des angles planétaires en général (de l’extrême concentration à la dispersion maximale), les seconds s’intéressent aux systèmes d’Aspects, donc à des angles planétaires spécifiques et particuliers. “Dessins planétaires” et “Aspects composés” ne se ressemblent que dans la mesure où ils font l’objet d’une interprétation en soi, indépendante des planètes qu’ils réunissent.

Le concept de “système d’Aspects” étant plus précis que la notion d’“Aspects composés”, c’est lui qu’on utilisera ici. Il se définit comme l’ensemble des Aspects que peuvent former au moins trois planètes entre elles (par ex. une opposition, un trigone et un sextile). Dans un même Thème, un système d’Aspects peut être soit indépendant (aucune des planètes qu’il réunit ne forme alors d’Aspect avec un autre système), soit rattaché (au moins une de ses planètes est en Aspect avec un autre système). Plusieurs systèmes d’Aspects peuvent ainsi se combiner et se superposer en une configuration complexe.

Le dénombrement, la nomenclature, la dénomination et l’interprétation systématiques des systèmes d’Aspects sont des innovations du XXe siècle. Leur nombre varie selon les auteurs et suivant qu’on intègre ou non les Aspects mineurs. Les plus remarquables sont ceux qui réunissent toutes les planètes en une seule figure géométrique parfaite composée des Aspects majeurs sans orbes. Comme ces cas de figure sont hyper-rares voire inexistants à l’échelle des fréquences astronomiques, on admet des orbes, si possible pas trop étendues.

Le système d’Aspect intégral le plus rarissime (c’est simple, vous n’en verrez jamais) est le “stellium”, amas planétaire composé d’une conjonction de toutes les planètes en orbe très restreint. Les autres sont également rarissimes, mais peuvent se produire à l’échelle des temps cosmiques. Il s’agit du “grand trigone”, du “grand carré”, du “grand sextile” et du “grand rectangle”. On ne peut les retrouver dans de nombreux Thèmes que dans leurs versions non-intégrales : ils ne se composent alors pas de toutes les planètes, mais d’un nombre variable de celles-ci. Il suffit de deux ou trois planètes qui n’y figurent pas pour gâcher cette belle géométrie.

Le “grand trigone” et le “grand carré” sont représentés par les graphiques ci-dessous. Intégraux (c’est le cas dans ces figures) ou non, ce sont les systèmes les plus simples. Le “grand trigone” ne se compose en effet que de conjonctions consonantes entre elles puisque reliées par des trigones, et le “grand carré” de conjonctions dissonantes par les carrés et oppositions qui les relient. Pour les astrologues les plus fatalistes, le “grand trigone” est hyper-bénéfique et le “grand carré” hyper-maléfique. Sans commentaire. Pour les moins déterministes, les hyper-bénéfices du “grand trigone” risquent d’être dilapidés par une tendance à la facilité et au relâchement, et les hyper-maléfices attribués au “grand carré” conjurés à force de vigilance et de tension créative.

Le “grand rectangle” et le “grand sextile” sont représentés par les graphiques ci-dessous. Intégraux (c’est le cas dans ces figures) ou non, ce sont des systèmes plus complexes, puisqu’ils associent des Aspects consonants et dissonants. Pour les astrologues les plus fatalistes, ce sont des cauchemars : bénéfices et maléfices sont inextricablement liés. Pour les moins déterministes, plusieurs réponses conditionnelles sont possibles et les plus fréquentes sont la compensation et l’alternance équilibrées ou non. Dans le meilleur des cas, celui de la compensation équilibrée, les effets des consonances-facilités pondèrent et corrigent ceux des dissonances-difficultés et vice-versa. Dans le pire des cas, celui de l’alternance déséquilibrée, les relâchements de la facilité conduisent aux pires difficultés auxquelles ont cherche à échapper en s’abandonnant à des facilités dans un cercle vicieux. Bien entendu toutes sortes de solutions peuvent exister entre ces deux extrêmes.

Parmi les autres systèmes d’Aspects intégraux, le “cerf-volant” et le “sceau de Salomon” ou “étoile de David” occupent une place particulière. Le “cerf-volant” (ainsi nommé en raison de sa forme) combine un maximum d’Aspects consonants (sextiles & trigones) et apparemment un seul Aspect dissonant (son opposition centrale). Apparemment seulement, puisque les conjonctions reliées par cette opposition sont ainsi en partie consonantes. Pour les fatalistes, qui croient généralement que la conjonction ne peut être que consonante (ce qui est une erreur), les maléfices de cette unique opposition sont conjurés par les bénéfices des sextiles, trigones et conjonctions, qui peuvent même en tirer parti. Pour les moins déterministes, la même opposition, dissonance minoritaire, crée un climat de tension empêchant aux consonances de verser dans le relâchement et la facilité, etc.

Quant au sceau de Salomon ou étoile de David (étoile à six branches), ce n’est jamais qu’une version allégée du “grand sextile” à laquelle on a conservé ses deux grands trigones mais qu’on a débarrassée de ses trois oppositions. Il n’a donc qu’une existence symbolique, et figurerait donc une harmonie parfaite exemple de tensions (d’oppositions donc), dans le genre du grand calme avant l’inévitable déchaînement d’un ouragan.

Intégraux ou non, les systèmes d’Aspects (à part le “sceau de Salomon”) ont une réelle existence et méritent d’être identifiés et étudiés en tant que tels (surtout s’ils sont partiels, ce qui est le cas le plus fréquent). Mais il suffit de lire les interprétations qui en sont généralement données pour s’apercevoir de la perplexité dans laquelle sont plongés ceux qui essaient de le faire en surplombant et fétichisant celles des Aspects qu’ils réunissent. Cette fétichisation des systèmes d’Aspects produit alors les mêmes travers que celle des dessins planétaires de Jones.

Cet article vous a été proposé par Richard Pellard

Voir aussi :

▶ Théorie et pratique des aspects
▶ Les aspects, phases d’un cycle
▶ Aspects : existe-t-il un modèle traditionnel ?
▶ Aspects : théorie et bilan conditionaliste
▶ Introduction à l’interprétation des aspects
▶ Les Aspects planétaires et leurs orbes
▶ Les Aspects kepleriens
▶ Les “aspects” aux Angles
▶ Chronologie des Aspects et Transits
▶ Les Aspects planétaires


Les significations planétaires

par Richard Pellard

620 pages. Illustrations en couleur.

La décision de ne traiter dans ce livre que des significations planétaires ne repose pas sur une sous-estimation du rôle des Signes du zodiaque et des Maisons. Le traditionnel trio Planètes-Zodiaque-Maisons est en effet l’expression d’une structure qui classe ces trois plans selon leur ordre de préséance et dans ce triptyque hiérarchisé, les Planètes occupent le premier rang.

La première partie de ce livre rassemble donc, sous une forme abondamment illustrée de schémas pédagogiques et tableaux explicatifs, une édition originale revue, augmentée et actualisée des textes consacrés aux significations planétaires telles qu’elles ont été définies par l’astrologie conditionaliste et une présentation détaillée des méthodes de hiérarchisation planétaire et d’interprétation accompagnées de nombreux exemples concrets illustrés par des Thèmes de célébrités.

La deuxième partie est consacrée, d’une part à une présentation critique des fondements traditionnels des significations planétaires, d’autre part à une présentation des rapports entre signaux et symboles, astrologie et psychologie. Enfin, la troisième partie présente brièvement les racines astrométriques des significations planétaires… et propose une voie de sortie de l’astrologie pour accéder à une plus vaste dimension noologique et spirituelle qui la prolonge et la contient.

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Pluton planète naine : une erreur géante

par Richard Pellard

117 pages. Illustrations en couleur.

Pluton ne fait plus partie des planètes majeures de notre système solaire : telle est la décision prise par une infime minorité d’astronomes lors de l’Assemblée Générale de l’Union Astronomique Internationale qui s’est tenue à Prague en août 2006. Elle est reléguée au rang de “planète naine”, au même titre que les nombreux astres découverts au-delà de son orbite.

Ce livre récapitule et analyse en détail le pourquoi et le comment de cette incroyable et irrationnelle décision contestée par de très nombreux astronomes de premier plan. Quelles sont les effets de cette “nanification” de Pluton sur son statut astrologique ? Faut-il remettre en question son influence et ses significations astro-psychologiques qui semblaient avérées depuis sa découverte en 1930 ? Les “plutoniens” ont-ils cessé d’exister depuis cette décision charlatanesque ? Ce livre pose également le problème des astres transplutoniens nouvellement découverts. Quel statut astrologique et quelles influences et significations précises leur accorder ?

Enfin, cet ouvrage propose une vision unitaire du système solaire qui démontre, chiffes et arguments rationnels à l’appui, que Pluton en est toujours un élément essentiel, ce qui est loin d’être le cas pour les autres astres au-delà de son orbite. Après avoir lu ce livre, vous saurez quoi répondre à ceux qui pensent avoir trouvé, avec l’exclusion de Pluton du cortège planétaire traditionnel, un nouvel argument contre l’astrologie !

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