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Capricorne
Le rythme Capricorne

Le rythme du Soleil en Capricorne repose sur l’écart maximal entre la nuit dominante qui amorce sa descente, et le jour dominé qui amorce sa remontée.

Capricorne

Capricorne : profil adapté

Capricorne

Première facette : force d’inhibition extinctive

Décroissance de la nuit majoritaire : aspiration au non-moi de l’absolu qui déconnecte du social et de ses fluctuations.

Lorsque, vu de la Terre, le Soleil franchit la frontière entre 30° du Sagittaire et 0° du Capricorne, la nuit toute-puissante de l’automne cesse brusquement de croître pour amorcer un déclin qui se soldera trois mois plus tard par le retour en force du jour. Pour l’acupuncture, c’est le moment où après avoir atteint le pic de la fin de l’automne, la courbe de l’énergie yin commence à diminuer, tandis que celle de l’énergie yang qui venait d’atteindre son point le plus bas, amorce sa remontée. Le début du déclin de la nuit se traduit par la distanciation vis-à-vis des valeurs collectives qu’elle symbolise. À la dynamique d’expansion sur fond de socialisation du Sagittaire, succède celle de rétraction dans une solitude plus voulue que subie du Capricorne. Le natif du dernier Signe d’automne se vivait relié, celui du premier Signe d’hiver se vit séparé.

« Le jeu de la socialisation consiste à nous convaincre que les descriptions sur lesquelles nous nous mettons d’accord définissent les limites du monde réel. Ce que nous nommons réalité, n’est qu’une façon de voir le monde, une façon soutenue par un consensus social », affirme Carlos Castaneda. « À force de m’intéresser à la sémiotique, je suis de plus en plus saisi par la possibilité que le monde n’existe pas, qu’il ne soit qu’un produit du langage. Alors, ma question essentielle, c’est : est-ce que le monde existe ou non ? » s’interrogeait Umberto Eco [1] il y a quelques années. L’inhibition dite « extinctive » ou « déconditionnante » par laquelle l’astrologie moderne désigne la première facette capricornienne, « éteint » le monde en rendant inopérants les multiples signaux qui faisaient réagir le natif du Sagittaire. Alors que la croissance du pôle nocturne connectait l’Automnal au « non-moi » du monde extérieur et de la vie sociale, sa décroissance y ferme d’emblée l’Hivernal, l’obligeant à trouver une autre forme de « non-moi » à laquelle s’identifier. Plus ou moins inconsciemment, le natif du Capricorne attend le signal qui lui semble essentiel. Il est en quête d’absolu.

Le manque inné d’intérêt pour ce qui agite le commun des mortels, en particulier le commun des Automnaux, constitue a priori un facteur d’inadaptation. Le natif du Capricorne est l’introverti type, il ne cherche pas à communiquer et est plus porté à se replier sur lui-même qu’à aller vers les autres. « J’étais un enfant assez solitaire. Je me tenais à l’écart. Je peignais, je jouais du piano et mes parents étaient très inquiets… », raconte le comédien britannique Anthony Hopkins. « Je restais dans mon coin, renchérit David Bowie à propos de ses jeunes années… Je n’étais pas sûr de moi, la présence des autres me bloquait totalement. Je n’étais pas très exubérant, pas très intéressant… » « Partout où j’ai habité, jusque dans mon quartier et ma famille, je me suis sentie exclue, révèle la chanteuse Patti Smith. Je n’étais pas comme les autres. J’étais aimée pourtant, mais les gens me trouvaient bizarre, maigrichonne… Je n’avais ni ami, ni petit ami… Je sais ce que c’est que de se sentir étranger, pas à sa place… »

C’est pourtant bel et bien de son introversion que le natif tire sa force d’adaptation, puisqu’elle le détache naturellement de ce qui est accessoire, superficiel, éphémère, pour l’orienter vers la profondeur, l’intemporel, l’essence, dont il découvre peu à peu qu’ils sont inhérents à ses aspirations. Il ne met d’ailleurs là aucune forfanterie particulière, dans la mesure où sa quête, d’abord confuse, s’avère, dès qu’elle se précise, semée d’embûches, ingrate et interminable. Par définition hors d’atteinte, l’absolu n’est touché fugacement du doigt que par les personnalités fortes qui ont pu se consacrer à quelque chose qui s’en rapproche.

Quand il a entrevu ce vers quoi il doit tendre, l’adapté s’y consacre sans réserve. C’est Richard Wagner qui aura incarné l’absolu pour son épouse Cosima dont l’existence a été vouée d’abord à l’homme et à l’artiste, puis à sa musique lorsque, après sa mort, elle n’a pu se résoudre à laisser à quelqu’un d’autre les rênes du festival de Bayreuth qu’elle a tenues de façon exemplaire pendant vingt ans. « La paix n’existe que dans l’abnégation », affirmait-elle. « Cette abnégation totale de sa personnalité, c’est sa façon à elle de l’aimer… », commente Françoise Giroud [2]. « Elle est la chanteuse la plus honnête et la plus intense qui soit », pense Geoffrey Barlow de Beth Gibbons, auteur et interprète du groupe déjà mythique Portishead, en même temps qu’artiste extraordinairement effacée derrière la musique qui donne un sens à sa vie. « Il y a quelque chose d’ascétique, d’anorexique, dans le chant et la personne de Beth Gibbons, écrit un critique. Une quête d’absolu, un désir de ne plus désirer [3]. »

La référence à l’absolu fait relativiser au maximum le petit « moi » de la personne, et accorder la priorité à la vérité de l’Être sur les faussetés du Paraître. Le Capricornien n’a pas un ego démesuré [4] et est aussi peu porté à s’imposer aux autres qu’à faire cas de sa personne, encore moins à la surévaluer. « Parler de soi, c’est toujours une forme de vanité… », pense Diane Keaton. Selon l’un de ses biographes, la grande pianiste roumaine Clara Haskil n’avait aucun « contentement de soi, de sens de la publicité, de désir de se mettre en avant… », et montrait même « une incapacité totale pour la flatterie. Au contraire, elle n’est que modestie et doute [5]… ». Parce qu’il met la barre haut et souffre du décalage entre la perfection du dieu qu’il s’est trouvé, et l’imperfection de son approche [6], le natif reste peu sensible aux marques de reconnaissance extérieure. Le cœur peut brûler, fondre, s’exalter à propos de ce qui le transporte, la tête reste froide. « Je suis demeurée convaincue de la vanité des succès terrestres, pensait Simone de Beauvoir… Dès que je creuse un peu en moi, je rencontre, touchant le niveau de ma réussite, une assez grande indifférence… aujourd’hui, je ne sais plus avec quel étalon mesurer : faut-il s’en référer au public, aux critiques, à quelques juges choisis, à une conviction intime, au bruit, au silence ? Et qu’évalue-t-on ? La renommée ou la qualité, l’influence ou le talent [7] ? » À Robert Mallet qui lui parlait de prix littéraires, Paul Léautaud se récriait aussitôt : « Un écrivain qui reçoit un prix, il est déshonoré ! DÉS-HO-NO-RÉ [8]. » Le célèbre pianiste italien Arturo Benedetti Michelangeli n’a jamais accordé le moindre sourire au public qui l’acclamait, se contentant de le saluer de la façon la plus impersonnelle qui soit. « Je déteste quand on applaudit le pianiste. Ce sont Beethoven, Chopin, Debussy, qui méritent les applaudissements, pas moi », se justifiait cet artiste dont les propos évoquent ceux que Louis Jouvet avait tenus au régisseur qui imaginait sa fierté devant les applaudissements de la soirée : « Les applaudissements, je ne veux pas les entendre. Le jour où je les entendrai, je ne serai pas content de moi [9]. »

Le registre de l’artifice et de la séduction est rarement celui du natif. « Il faut aller au-delà du miroir, au-delà de l’au-delà », préconisait Patti Smith. Quand ils sont à disposition, les signes extérieurs d’élégance ou de richesse encombrent plus qu’autre chose. Clara Haskil se présentait au public « sans aucun apprêt », Michelangeli a porté le même smoking de scène pendant dix-huit ans ! « Le maximum de dénuement me donne un sentiment de santé… », disait Federico Fellini. « Je n’ai pas de limousine, pas de chauffeur, pas de maquilleur, révèle Gérard Depardieu [10]. Quand je tourne en Amérique, je n’ai pas le droit de sortir sans garde du corps, alors je ne sors pas de ma chambre, c’est tout. »

« Mark Hollis, l’ancien leader du groupe Talk Talk, est accro à une drogue dure : le silence. “C’est l’une des choses qui comptent le plus dans ma vie…”, répète-t-il dans les rares entretiens qu’il a accordés ces quinze dernières années », lit-on dans une revue spécialisée [11]. Arturo Benedetti Michelangeli était surnommé « Face of silence » et s’est vanté d’avoir enseigné à Martha Argerich la musique du silence en quatre leçons, ce que cette dernière, dont l’espièglerie Gémeaux contraste avec l’austérité capricornienne, rapporte en riant. Quoi qu’il en soit, le natif du début de l’hiver est plus disposé à se taire qu’à parler. D’abord parce qu’à moins d’avoir comme Umberto Eco, une forte composante sagittarienne, il n’a pas la facilité automnale à maîtriser les codes sémantiques sur lesquels l’auteur de Le nom de la rose s’est tellement penché, ni à passer sans transition d’une idée à une autre, non plus qu’à survoler une multitude de sujets en un rien de temps. Ensuite, parce qu’il appréhende les réductions, dissimulations, malentendus auxquels prêtent les mots et devant lesquels il déclare forfait. Enfin, parce que le langage véhicule un prêt-à-penser auquel il se sent sinon hostile, du moins étranger.

Le natif ne s’exprime pas sur ce qu’il n’a pas assez approfondi, tout en pensant qu’une vie ne suffit pas à approfondir quoi que ce soit. À l’instar de Beth Gibbons — aussi avare en interviews que Mark Hollis —, il refuse d’office les échanges dont la superficialité est courue d’avance, et ne peut ni ne veut déguiser sa pensée quand on lui donne la parole. La romancière Susan Sontag ne s’est pas gênée pour dire qu’elle comprenait les auteurs des attentats du 11 septembre et avait, à certains égards, honte d’être Américaine. Outre Susan Sontag, le Signe du Capricorne compte dans ses rangs de nombreux autres libres-penseurs — Jean-François Revel, Marc-Édouard Nabe, Noël Mamère, Roselyne Bachelot, Thierry Ardisson, Howard Stern, David Fincher, Steven Soderbergh… Quelques natifs ont fait de leur animosité innée vis-à-vis des propos et comportements généralisateurs et à courte vue de la pensée dominante, un cheval de bataille consciemment provocateur. La plupart ne cherchent pas à contester — façon Scorpion —, ils sont sans le vouloir à contre-courant. La déconnexion et la référence à l’absolu préservent du politiquement correct. Si la note capricornienne détonne, c’est parce que au milieu de la cacophonie des notes plus ou moins fausses, elle est l’une des rares qui n’aient aucune autre considération que celle de la justesse [12].

La démagogie—que ce soit celle de la vox populi quand elle déverse sa marée de préjugés et dicte sa loi, ou celle des profiteurs qui cherchent à tirer un bénéfice sur le dos des autres, en flattant leur bêtise ou leurs bas instincts—est la bête noire du natif qui se montre généralement aussi peu indulgent pour le genre humain que pour lui-même. L’auteur de Tartuffe, du Misanthrope et des Précieuses ridicules, Molière, est né un 15 janvier. Lors des entretiens qu’il avait eus en 1951 avec l’écrivain Robert Mallet pour Paris-Inter, Paul Léautaud — connu pour ses jugements abrupts — déclarait à propos du vote des femmes : « Le vote des hommes est déjà si peu brillant que les femmes ne peuvent guère le rendre plus mauvais. » Même radicalité pour David Bowie qui avoue : « J’ai toujours méprisé la musique du mainstream. » « Elle ne se fait pas beaucoup d’illusions sur le genre humain et peut avoir la dent dure, sans s’épargner pour autant », rapporte l’un de ses amis sur Caria Bruni.

La distanciation capricornienne incite à être foncièrement rebuté par les manifestations comme par les réjouissances programmées du monde extérieur et de la vie collective. La plupart des natifs s’en tiennent donc aussi éloignés que possible. « Les amis, la société actuelle et l’indignation me porteraient à adopter des positions idéologiques résolues afin de contribuer à opérer un changement en surmontant l’inertie, exposait Federico Fellini. (…) Mais le moment venu… d’adhérer à des groupes, de participer à des débats, à des cortèges, à des déclarations et des appels, des confrontations, la seule idée que je pourrais être impliqué dans ce monde scandé par les discussions et les réunions, dans cet activisme de scouts, mi-devoir, mi-école du soir que l’on trouve au fond de tout intérêt porté à la “chose publique”, me repousse dans une espèce de zone franche, peut-être irresponsable et enfantine, où pourtant je me réjouis du danger auquel je viens d’échapper en ne m’occupant que des seules choses qui m’intéressent, à savoir tourner des films [13]… » « Bogie détestait le premier de l’an, c’était le seul soir où il refusait de se saouler, simplement parce que tout le monde se croyait obligé de boire à cette occasion », écrit Lauren Bacall à propos de son époux Humphrey Bogart [14]. « Je suis sûr que cette réputation [de pingrerie] est née du fait que je ne suis pas joueur, ne fréquente pas les boîtes de nuit, ne donne pas de grandes réceptions et ne vois pas la nécessité d’offrir des cadeaux à Noël. Je fais des présents quand j’en ai envie », s’est défendu Cary Grant, qui n’aimait pas non plus perdre son temps en mondanités et a divorcé de la milliardaire Barbara Hutton, née— comme par hasard —sous une dominante automnale, parce qu’elle conviait trop souvent une vingtaine de personnes à leur table [15].

Le Capricorne de haut niveau qui a réussi à trouver sa raison de vivre se montre d’une exigence qui ne lui laisse pas beaucoup de répit. « Tous les musiciens qui ont suivi sa carrière, lit-on dans la biographie de Clara Haskil, témoignent que de toujours son jeu a eu le caractère de simplicité, de dépouillement, qui laissait seulement parler la musique… Elle semble être à la recherche de la signification purement intérieure et de plus en plus profonde de pensées et de sentiments trouvés dans l’esprit même du compositeur, au travers de sa musique [16]… » Si un grand nombre de chanteurs du Signe — Chet Baker, Joan Baez, Marianne Faithfull, Étienne Daho, Sade, Carla Bruni, Vanessa Paradis, Dido, Beth Gibbons, Benjamin Biolay — ont eux aussi un style simple et dépouillé, ce n’est pas en raison du filet de voix dont la nature les a dotés [17], mais parce que aller à l’essentiel passe par l’élimination des effets inutiles qui détournent du sujet, quand ils ne le dénaturent pas. « Bono a une grande voix, c’est un fait, mais essayez un peu de le faire chanter sur une musique de Portishead, ça ne donnera rien, a avancé la timide et taciturne Beth Gibbons. Avec la musique de Geoff [18], il faut beaucoup de retenue, sinon ça ruine tout. » Que ce soit en musique ou dans n’importe quel autre domaine, le natif est décidément rebelle à l’esbroufe, à l’emphase, à toutes les diversions qui attirent l’attention sur le contenant aux dépens du contenu derrière lequel il s’efface.

Lauren Bacall estimait que « la plus grande force » de Humphrey Bogart était une « rigoureuse fidélité à soi-même ». Le pianiste Keith Jarrett pensait pareillement que ce qui intéressait le trompettiste Chet Baker, c’était « … d’être lui-même et non d’être nouveau, différent ou d’avant-garde ». Plus précisément, l’adapté est en accord avec lui-même par fidélité à ce qui le mobilise et le transcende. Sa première facette le rend si indifférent aux impératifs sociaux et tellement concerné par son absolu, qu’il en est hors normes, hors cadre, hors temps, « out of season [19] ». « Partis dans le décor, Mark Hollis et les siens abandonnent tout ce qui les rattachait au mainstream pop : les chansons formatées, les sons manufacturés, les contraintes de temps et de représentation. Hollis parle alors d’une “recherche nécessaire, vitale” [20] »…

David Bowie a confié que, vu de l’extérieur, il n’était qu’un type « … effrayé, timide, mais qu’au fond de lui, il était animé d’une assurance effrayante ». En général, le natif du Capricorne qui a déniché la priorité des priorités donne selon les circonstances tantôt l’une, tantôt l’autre impression. Quel que soit son absolu, il le vit à la façon d’un investissement qui, d’une part, l’allume en « éteignant » le reste du monde, d’autre part, lui donne une confiance sans faille en la passion qui l’habite, inversement proportionnelle au sentiment beaucoup plus incertain qu’il a de lui-même.

Capricorne

Deuxième facette : lenteur d’inhibition

Décroissance du processus dominant : lenteur. Nuit : inhibition. Décroissance de la nuit dominante : lenteur d’inhibition. Défenses immuables. Permanence du non.

La croissance de la nuit dominante de l’automne se traduit par une défensive mobile, vive et souple, dont l’art de l’esquive est la première manifestation. La décroissance de la nuit dominante de l’hiver se traduit par une défensive qui n’est ni mobile, ni vive, ni souple, L’immuabilité des refus en est la forme la plus courante. À la « vitesse d’inhibition », succède la « lenteur d’inhibition ». Découvrant progressivement ce qui lui convient, l’adapté du Capricorne reste définitivement imperméable à ce qui ne lui convient pas.

« Qui trop se presse, point n’arrive », se plaisait à rappeler Louis Jouvet. Tout porte le natif à la lenteur et c’est d’ailleurs pourquoi il apprécie les « voyages immobiles [21] ». Quand l’environnement ne suscite qu’indifférence, incompréhension ou ennui, il faut du temps pour que se produise la rencontre qui mettra fin à l’errance intérieure et qu’à quelques exceptions près, cet environnement ne propose pas d’emblée. Le référentiel courant n’étant guère inspirant, il faut également du temps pour en trouver un autre, plus personnel et plus impersonnel à la fois — plus absolu —, qui permette de mieux décanter, identifier et conforter tant les attirances qui sont rares, que les rejets qui sont nombreux. Aussi, une fois ce processus accompli, se tient-on mordicus à sa conclusion. La façon dont le romancier britannique Edward Morgan Forster — né un 1er janvier — a dépeint Maurice [22], le personnage principal du roman du même nom, auquel il a manifestement prêté ses propres traits, donne un bon aperçu des effets conjoints des deux premières facettes de ce profil. « Une nature lente comme celle de Maurice peut paraître insensible, écrit Forster, car il lui faut du temps, fût-ce pour ressentir. Son premier mouvement est de prétendre que rien n’est arrivé, ni de bon ni de mauvais, et de se fortifier dans ses défenses (…) si on lui en laisse le temps, sa nature est capable de connaître tous les tourments de l’enfer (…) L’orage n’avait pas couvé pendant trois jours, ainsi qu’il l’imaginait, mais pendant six ans. (…) Il s’efforça péniblement d’aller jusqu’au bout de son raisonnement. Son intelligence était encore lente et il y avait tant d’expressions et d’opinions courantes qu’il devait traduire avant de pouvoir les comprendre [23]… » Si la compréhension capricornienne se fait à retardement, elle a au moins l’avantage d’être profonde et irréversible.

Malgré sa connotation péjorative, le monolithisme qui résulte de la combinaison des deux premières facettes du Signe favorise l’adaptation en ce qu’il rend incorruptible. « Si l’on n’est pas un être irréprochable, monolithique dans sa conduite, on ne peut mouvoir personne, on n’a pas de pouvoir personnel », a insisté Carlos Castaneda. « Dans un milieu politique où les gens ont de moins en moins de colonne vertébrale, je considère le monolithisme comme une force qui me permet de me retrouver », s’est plu à souligner Roselyne Bachelot, ministre de l’Environnement du gouvernement Raffarin. « S’il est vrai que je cède assez facilement sur les choses accessoires, et que je ne me braque pas pour des bêtises, quand tout d’un coup on est sur le noyau dur, rien ne peut me faire bouger », a-t-elle précisé [24]. Malgré de nombreuses menaces de mort, y compris contre ses deux enfants, Ingrid Betancourt [25] n’a jamais désarmé dans son héroïque combat contre la corruption qui sévit en Colombie, son pays natal. Nous ne sommes pas loin de Jeanne d’Arc qui aura écouté ses voix jusqu’à leurs ultimes conséquences. Quand le natif du Signe est héroïque, c’est parce qu’il ne peut pas faire autrement que suivre une voix intérieure sur laquelle les avis extérieurs, d’où qu’ils viennent, n’ont aucune influence. Est-il utile d’ajouter que la ténacité à toute épreuve du natif donne à son parcours une exceptionnelle continuité ?

Le Capricornien s’attelle une fois pour toutes à ce qui le mobilise, en supportant stoïquement les obstacles intérieurs et extérieurs qui ne manquent pas de le ralentir en permanence. Ne démarrant ni n’achevant rien facilement, il ne s’interrompt qu’en cas de force majeure. Sa progression impose un emploi du temps organisé de façon drastique qui ne laisse place à aucune diversion. « Il a toujours été un modèle très intimidant de discipline », nous apprend son fils à propos d’un autre grand pianiste du Signe, Alfred Brendel. « Pendant ses années d’études aux Beaux-Arts, comme dans les ateliers qu’il avait fréquentés par la suite, Matisse avait toujours paru plus rangé, plus raisonnable que les peintres de la génération suivante, révèle Edmonde Charles-Roux. La bamboche ? Très peu pour lui… Alors qu’il n’était qu’un apprenti sollicitant l’avis des maîtres de l’époque, mais déjà marié et jeune père de famille, il évitait les fêtards, les rigolos. L’obsession était déjà là et la passion aussi. »

L’opiniâtreté à long terme favorise la stabilité des liens professionnels, amicaux et amoureux, quels que soient les écarts et déceptions de part et d’autre. Simone de Beauvoir a renoncé à une grande passion réciproque, vécue à l’âge mûr, pour l’écrivain américain Nelson Algren, parce qu’elle ne voulait pas « lâcher »Jean-Paul Sartre, rencontré dans sa prime jeunesse.

Dans l’une de ses premières vidéos, « Mark Hollis, marchait au triple ralenti dans une foule défilant en accéléré. Près de vingt ans ont passé et l’image frappe encore par sa justesse : voilà un homme progressant à son propre tempo, à distance d’un monde qui tel un canard dont on aurait tranché le cou, court de plus en plus vite, sans but ni logique [26]. » Quoi qu’il arrive, quoi qu’il lui en coûte, le natif du Capricorne suit à son rythme la voie qu’il considère comme la sienne, en restant sourd et aveugle à ce qui l’en détournerait. Si la Tradition prétend que le temps joue pour lui, c’est que pour se rapprocher de sa vérité, il doit aussi lentement que sûrement développer le sens des priorités, privilégier la qualité par rapport à la quantité, donner du temps au temps, lequel, attendri sans doute par tant de constance, finit parfois par lui rendre la monnaie de sa pièce.

Capricorne

Troisième facette : sens des ensembles

Écart maximal entre la durée de la nuit dominante décroissante et celle du jour dominé croissant : esprit de synthèse. Sur fond de distanciation et de monolithisme : ensembles dépouillés, abstraits, fermés, fixes…

L’écart maximal entre la durée du pôle dominant — jour ou nuit — et celle du pôle dominé qui caractérise les quatre Signes solsticiaux favorise le sens des ensembles. Avec sa dynamique d’expansion horizontale sur fond d’imprégnation sociale, le natif du Sagittaire trouve dans les multiples sujets ou milieux qui l’intéressent, une grande quantité d’éléments divers aux nombreuses ramifications permettant d’intégrer encore et toujours des éléments supplémentaires. Il regroupe ensuite le tout dans de vastes synthèses qu’il organise en fonction d’une thématique ou d’une situation générales. Avec sa dynamique de rétraction verticale sur fond de désensibilisation sociale, celui du Capricorne effectue une démarche en sens inverse, puisqu’il part de lui-même, de l’intérêt majeur qui l’anime et que, sans toujours en être conscient, il érige en absolu, ne prenant de l’extérieur que ce qui s’y rapporte. De même qu’il ordonne sa vie autour de ce qui en constitue l’immuable noyau, de même cherche-t-il à articuler les éléments qui l’intéressent autour d’un axe unique. « Le film Huit et demi (1962), a écrit un critique [27], représente une sorte de somme des mythes et des réalités, des rêves et des vérités qui ont formé jusqu’ici le tissu des œuvres de Fellini : l’artiste se confesse en même temps que l’homme et tâche de donner un sens à son œuvre et à sa vie. Cet exercice d’introspection totale est bien servi par la grande maîtrise atteinte par Fellini dans ce film : c’est un repli sur soi-même comme le cinéma n’en a peut-être pas connu de plus complet ni de plus profond jusqu’à ce jour. (…) Ce n’est pas une société particulière qui est visée, ni un pays. C’est l’Homme, toute sa faiblesse et tout son ridicule. »

« Pour moi, disait Federico Fellini, le lieu idéal est le studio 5 de Cinecittà vide. Eh oui, l’émotion absolue, le frisson, l’extase, c’est ce que j’éprouve face au studio vide : un espace à remplir, un monde à créer… » Comme Fellini, le natif du Capricorne tente de structurer un espace vide et fermé avec les seules données qu’il trouve à la fois significatives et susceptibles de s’emboîter pour former un système sans faille qui se suffise à lui-même. Les trois autres synthèses solsticiales étaient chacune à leur façon foisonnantes, celles du Capricorne sont épurées. Procédant par décantation et par élimination, le natif écarte ce qui ne correspond pas exactement à sa conception. « Pierre Soulages, lit-on au sujet de ce peintre mondialement apprécié qui a la particularité de travailler exclusivement la couleur noire, est un homme replié sur lui-même et réfractaire à toute influence. Sa peinture est donc un aboutissement à une forme d’abstraction personnelle. En effet, il a tout de suite trouvé une expression conforme à son tempérament. »

« Girard est un des derniers porcs-épics survivants, assure l’éditeur du philosophe René Girard, auteur, entre autres, de Des choses cachées depuis la fondation du monde. Le renard sait beaucoup de choses, mais le porc-épic sait une seule grande chose [28]. » Nous ne sommes plus dans la pluralité qui tend à élargir, tout en l’homogénéisant, un champ quelconque, mais dans l’unicité qui tend à l’approfondir. Il ne s’agit pas, comme Michel Tournier, de faire entrer Platon, Aristote, Spinoza et Kant dans des histoires ou des contes, mais de resserrer les éléments adéquats dont on dispose autour d’une idée maîtresse ; un peu comme Carlos Castaneda qui se sera évertué, livre après livre, à dénoncer systématiquement la superficialité, les limitations et les automatismes des rationalisations occidentales, pour creuser toujours plus le mystère de la vie et tenter de s’en rapprocher. En politique, il ne s’agira pas non plus de développer en long et en large — à la Jacques Chirac — un ou plusieurs thèmes fédérateurs destinés à rassembler autour de soi un maximum de personnes d’horizons différents, mais plutôt d’imposer une grande idée que l’on aura pris le temps d’analyser, d’élaguer, d’éprouver suffisamment pour la faire sienne et ne plus en démordre. Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, Konrad Adenauer se sera battu pour la réunification de l’Europe et la réconciliation de l’Allemagne avec la France, deux thèmes fort impopulaires à l’époque, en particulier dans ces pays.

Peut-être est-ce la raison pour laquelle la Tradition figure le Signe par une chèvre à queue de poisson. Le poisson évoque le silence des fonds marins et la chèvre la solitude des sommets montagneux. Les notions de profondeur et d’élévation qui résument les aspirations du Signe sont contenues dans le symbole. Le point de départ des synthèses du natif du Capricorne gît d’abord informulé dans son inconscient où il lui faut descendre pour en extraire la matière qu’il va devoir ensuite hisser péniblement jusqu’à la lumière des hauteurs qui permettra d’y voir plus clair. Il s’agit, comme pour l’alchimiste, de transmuter le plomb en or, l’inconscience en conscience, le relatif en absolu. La démarche est ardue : il est aussi pénible de partir explorer des fonds obscurs a priori aussi vides que le studio de Cinecittà avant que Fellini ne l’investisse, que de grimper un chemin escarpé au bout duquel on risque fort d’être confronté à une autre forme de vide. « Ce qui compte dans une œuvre, c’est la Présence. La Vie. La Réponse. Quand le noir devient lumière… Les toiles les plus réussies vibrent intensément », pense Pierre Soulages dont un critique d’art [29] dit que ses derniers tableaux évoquent le creusement, la profondeur et la subtilité.

Capricorne

Capricorne : profil inadapté

Capricorne

Première facette : faiblesse d’excitation naturelle

Jour maximal et croissant des Gémeaux : excitabilité, ouverture, présence tous azimuts. Jour minimal et à son minimum de durée du Capricorne : manque d’excitabilité, apathie, inertie, fermeture, absence…

Les tendances du profil adapté du Capricorne contiennent en germe celles qui favorisent l’inadaptation et qui reviennent à une carence quasi complète de ce qui fait la force tant du Signe inverse, les Gémeaux, que du signe précédent, le Sagittaire, ainsi que du suivant, le Verseau. Il manque au natif du Capricorne l’ouverture au monde, aux autres, à la nouveauté, à l’imprévu, l’élan vital des Gémeaux, la civilité, l’entregent et la solidarité du Sagittaire, ainsi que la précieuse faculté Verseau de positiver.

Le pôle dominé signant l’inadaptation et celui-ci étant, en l’occurrence, réduit à sa portion congrue, l’inadapté est — à l’image du tout petit bout de jour encadré par une nuit trop grande — plus ou moins comparable à l’embryon prisonnier d’un espace opaque et oppressant, qu’il n’a pas les moyens d’appréhender. C’est une façon de comprendre l’inertie qui le bloque pour faire le premier pas sur quelque plan que ce soit, quand elle ne l’empêche pas carrément de naître à lui-même pour tout simplement vivre. « Mourir est facile, c’est vivre qui m’effraie mortellement [30]… », chante Annie Lennox [31] dans une chanson qu’elle a écrite et à laquelle elle a donné le titre suggestif de Cold. « Il trouve le monde extérieur et la nature plutôt effrayants car ils sont incontrôlables. Ça le refroidit et le rebute. Les choses que nous trouvons passionnantes l’effraient », révèle son épouse au sujet d’Alfred Brendel. L’obscurité de la nuit dominante a beau diminuer, la lumière du jour renaissant qui augmente parallèlement est si infime, le printemps est si loin encore, qu’il semble que côté jardin autant que côté cour, ce soit l’impasse. Comment être optimiste dans de telles conditions ? « Ma nature est pessimiste, a reconnu Sergio Leone. Chez John Ford [Verseau], on regarde par la fenêtre avec espoir. Moi je montre quelqu’un qui a peur d’ouvrir la porte. Et s’il le fait, il reçoit une balle entre les deux yeux. »

La difficulté à bouger comme à se renouveler relève d’une démotivation de fond ainsi que d’une raideur psychologique plus ou moins accentuées. Le monolithisme n’a pas que du bon. Après que sa mère, Suzanne Valadon, et l’amant de celle-ci eurent réussi à traîner Maurice Utrillo en Corse, celui-ci n’avait rien trouvé de mieux que rester enfermé dans sa chambre d’hôtel à peindre des vues du Sacré-Cœur d’après cartes postales ! Françoise Giroud a évoqué « les images mentales très rigides » de Pierre Mendès France, sa lenteur à admettre les idées nouvelles et accepter le changement, son manque d’appréhension spontanée, sa méfiance « infinie » devant ce qu’il ne connaissait pas et même devant ce qu’il connaissait [32]. « Mon père n’aimait pas du tout voyager », raconte son fils à propos de Konrad Adenauer, dont la fameuse phrase : « Surtout pas d’expériences [33] », illustre bien cette première facette. « Quand nous étions enfants, nous allions tout le temps en vacances au même endroit, à la même date. Dans le même hôtel, la même chambre, le même décor, pour faire les mêmes randonnées en montagne. Mon père avait besoin de retrouver toujours le même balcon, toujours le même lit… » La légende veut que le premier chancelier de la RFA ait fait de Bonn la capitale de l’Allemagne pour rester près de chez lui et arroser ses roses [34].

Bien que le Taureau prédispose à moins d’incorruptibilité mais à autant d’entêtement, d’inertie et de pessimisme que le Capricorne, c’est davantage sur le compte de ce dernier, son Signe Ascendant, qu’il faut mettre la raideur d’Élisabeth II, son peu d’efforts ou sa maladresse pour répondre à l’attente de ses sujets. Savoir que la princesse Diana avait le Sagittaire comme Signe Ascendant permet une compréhension partielle des difficultés d’entente entre les deux femmes. La raideur s’accommode souvent mal de la souplesse qu’elle a tôt fait de juger inconséquente, hypocrite ou opportuniste, de même que la souplesse s’accommode mal de la raideur qu’elle a tout aussi vite fait d’imputer à la froideur et à la dureté. La vérité est souvent moins radicale, mais les Signes de solstice ne sont pas doués pour le juste milieu [35].

La rigidité capricornienne est indissociable d’un sentiment de soi-même tellement inconfortable qu’il en constitue un obstacle dans la vie active comme dans la vie relationnelle. Si le bon profil portait à s’oublier au profit d’un absolu, le mauvais incite à agrandir démesurément le fossé qui en sépare, et à se rapetisser d’autant. Braqué sur ses insuffisances, l’inadapté n’en finit pas de se déprécier. « Le sentiment qu’elle a de son indignité est intense et, en fait, ne la quittera pas », écrit Françoise Giroud à propos de Cosima Wagner. « Je ne suis ni causeur, ni penseur, même pas rigolard, à peine farceur, un être sans secret, sans malice, un raté, un sac à vin [36]… », s’est lamenté Maurice Utrillo, manifestement incapable de se réconforter avec l’idée qu’il ait quelque talent. Lorsque les circonstances amènent le natif à exprimer ouvertement la triste idée qu’il se fait de lui-même, ce n’est pas pour aller à la pêche aux compliments, mais pour remettre les pendules à l’heure au point d’en devenir pesant et de couper court au dialogue avec un entourage qui tente poliment de relativiser. « … Clara Haskil affirme à peu près à chaque concert qu’elle a joué comme un cochon, elle ne souligne que ce qui a été moins bon, elle a le génie de se faire une contre-publicité constante…, révèle son biographe. Quand elle se dénigrait, il fallait surtout abonder dans son sens, sinon elle devenait de plus en plus impossible [37]. » L’inadapté démord d’autant moins d’une conviction qu’elle est négative. Difficile de le contredire quand il s’agit de lui-même. Qui pourrait en effet le connaître mieux qu’il ne se connaît ? Simplement, là comme ailleurs, il n’envisage pas assez que les goûts des autres puissent être différents des siens et que peu de gens placent la barre aussi haut que lui.

Le natif du Capricorne est du genre à raser les murs et à ne pas vouloir attirer l’attention. Bien que moins envahissant et agressif que celui du Bélier, il peut cependant manifester la même franchise brutale, la même difficulté à jouer un certain jeu. L’absence d’hypocrisie a beau forcer l’estime, elle traduit dans le cadre de l’inadaptation une asocialité foncière. Certains Capricornes ne comprennent pas que la vie en société exclut d’être authentique à cent pour cent et ne font aucun effort pour rendre leurs angles un peu moins aigus. Ne se souciant pas de l’effet qu’ils produisent sur autrui, leurs attitudes sont encore plus décalées qu’ils ne l’imaginent. « Souvent, a reconnu Simone de Beauvoir, mon absence de respect humain gêna Sartre qui, en ce temps-là, en avait une bonne dose. Nous nous querellâmes un jour parce que je voulais prendre un verre au Frascati, le grand palace du Havre qui donnait sur la mer et d’où la vue devait être superbe ; mais j’avais un énorme trou à mon bas ; il refusa avec énergie [38]. » « J’avoue en outre que je n’étais guère polie, reconnaît-elle par ailleurs en évoquant ses jeunes années dans La Force de l’âge. J’ai gardé à jamais de mon adolescence le dégoût des sourires concertés, des inflexions étudiées. J’entrais dans la salle des professeurs sans distribuer de bonjours, je rangeais mes affaires dans mon placard et je m’asseyais dans un coin. » Clara Haskil, nous dit encore son biographe, « … est incapable de faire un compliment qu’elle ne pense pas et elle a même plutôt un talent, “celui-là tout à fait exceptionnel, dira-t-elle, de faire des gaffes…” » « Très peu de gens savaient lui parler sans se faire rabrouer [39]. » Barbara Hutton a divorcé de Cary Grant parce qu’il restait la plupart du temps enfermé dans sa chambre et n’arrivait même pas à faire bonne figure les rares fois où il se résignait à se mêler aux amis qu’elle invitait à dîner. Beth Gibbons est qualifiée de « diva recluse » et les seuls mots qu’avant de s’éclipser, elle ait consenti à chuchoter à un journaliste qui avait traversé la Manche pour l’interviewer, ont été : « Bonjour, comment ça va [40] ? » Un véritable exploit !

L’excès de fermeture, le manque de mobilité, d’aisance dans les contacts et de confiance dans la vie, portent l’inadapté à se retrancher de plus en plus dans sa tour d’ivoire pour ressasser à loisir son mal-être. Certains en arrivent à fermer définitivement leur porte. Après avoir fait le vide autour d’eux, ils se condamnent à la sclérose en ne levant pas le petit doigt pour éviter à leur univers de se rétrécir toujours plus inexorablement. « Aucune vie ne semble agiter cette mécanique humaine sévère et solitaire, écrit Boris Souvarine sur Joseph Staline. Il craint les foules, a horreur de se déplacer et dirige tout de chez lui, de sa “datcha”, dans un environnement sobre et discret. Il préfère qu’on parle de lui, qu’on écrive sur lui, qu’on pense à lui, mais qu’on le voie le plus rarement possible. » Depuis la parution de sa dernière nouvelle, en 1965, l’écrivain américain J. D. Salinger, auteur de L’Attrape-cœur, s’est réfugié dans le silence. Ne parlant à personne ou presque, ne publiant plus, il vit retranché dans un coin perdu du New Hampshire où sa légende s’entretient d’elle-même [41]. Champion hors concours de l’« absence », de la rigidité et de l’auto-enfermement auxquels porte cette facette, Howard Hughes, l’énigmatique et extravagant milliardaire américain dont le rôle dans l’histoire du cinéma, de l’aviation et de l’industrie électronique, a pourtant été considérable, est né sous le Signe du Capricorne. « À partir de 1946, écrit un journaliste [42], Hughes devient de plus en plus invisible, c’est-à-dire qu’il cesse de s’intéresser à une certaine façon d’être visible. » De fait, hormis quelques serviteurs mormons, plus personne ne le verra pendant les trente ans à venir, autrement dit jusqu’à sa mort [43].

Capricorne

Deuxième facette : vitesse d’excitation inadaptée

Croissance du jour dominant : vitesse d’excitation adaptée. Croissance du jour dominé : vitesse d’excitation inadaptée. Emballements inadéquats. La vitesse est source d’ennuis…

Alors que l’augmentation en durée du jour maximal des Gémeaux va de pair avec une grande rapidité à s’ouvrir et répondre adéquatement aux diverses sollicitations de l’environnement, celle du jour minimal du Capricorne se traduit par l’inopportunité des réactions rapides. Tout se passe comme si coexistaient sur le mode adapté symbolisé par le pôle nocturne dominant et décroissant, un vieux sage, et sur le mode inadapté représenté par le jour balbutiant, un jeune fou. Curieusement, certains natifs du Signe passent, au fur et à mesure que leur existence s’écoule, de l’austérité sentencieuse du vieillard qu’ils manifestaient au début de leur vie, à une plus grande fantaisie en fin de parcours. « J’ai été vieux trop tôt, je suis jeune trop tard ! » a déploré à plus de soixante-dix ans le journaliste Jacques Chancel [44]. À quatre-vingts ans passés, Paul Léautaud se félicitait d’avoir prodigieusement rajeuni avec les années. Au quotidien, le contraste est saisissant chez de nombreux natifs qui, quel que soit leur âge, se montrent aussi distanciés, contrôlés, calmes, mûrs à certains moments, qu’impulsifs, naïfs et puérils à d’autres.

Plus couramment, la vivacité, la mobilité et la polyvalence dont l’adapté des Gémeaux fait preuve à bon escient, ne réussissent guère au Capricorne quand il s’y laisse aller, autrement dit quand son jour fœtal prend le pas sur sa nuit en fin de parcours. Si le natif court, il tombe. S’il essaie d’être à la fois au four et au moulin, il s’emmêle les pinceaux. Ses emballements sont incongrus, ses impatiences déplacées, ses improvisations finissent généralement en « queue de poisson » et sa spontanéité débouche sur des gaffes qui n’ont rien à envier à celles de Clara Haskil. C’est l’un des paradoxes du Signe : nombre de natifs ne supportent pas l’hypocrisie des relations sociales, mais handicapés par leur esprit d’escalier, ils ont des réactions inappropriées chaque fois qu’elles ne sont pas le résultat d’une cogitation préalable suffisante. Autant dire que le mélange d’inertie et de vitesse inadaptées est une contradiction impossible à gérer.

Capricorne

Troisième facette : phase ultraparadoxale

Trop de nuit, pas assez de jour : phase ultraparadoxale. Réactions irrationnelles et disproportionnées par confusion entre le non-moi de l’absolu et son propre moi. Emprise de l’absolu.

L’écart maximal entre la nuit dominante et le jour dominé donne à l’adapté du Capricorne le sens des synthèses de plus en plus dépouillées, de plus en plus réduites à l’essentiel, en même temps qu’il le porte à se projeter dans la forme d’absolu qui le guide, tout en s’en différenciant. S’il se consacre à la spiritualité, par exemple, il ne se prend pas pour le Saint-Esprit. À l’inverse, la disproportion entre la nuit et le jour porte l’inadapté du Signe à ne plus distinguer correctement sa propre personne de l’absolu qu’il s’est forgé, tant et si bien qu’il réagit à ce qui concerne ce dernier comme s’il s’agissait de lui-même ou vice versa.

Chez Staline se sont amalgamées idéologie politique et paranoïa personnelle pour aboutir aux exterminations que l’on sait. Chez Mishima, l’idéal du samouraï a rejoint un masochisme particulièrement autodestructeur qui a amené l’écrivain japonais à se suicider en se faisant délibérément décapiter. Nicolas de Staël, qui avait pris la peinture comme absolu, s’est précipité du haut des remparts d’Antibes après avoir redécouvert l’œuvre de Velázquez. « Son exigence est une quête angoissante et épuisante de l’absolu, un absolu non métaphysique mais purement pictural… Il est entré en peinture comme d’autres en religion », lit-on à son sujet [45]. De même Marie d’Agoult rencontrant Franz Liszt « … entre en amour comme d’autres en religion ». « Mon amour est ma foi et j’ai soif de martyre… », proclamait-elle avec la démesure caractéristique de son Signe [46]. La dimension mystique ravageuse que l’inadapté du Capricorne prête à ce qui est davantage de l’ordre de la hantise et de l’absolutisme que du service d’un absolu, est révélatrice de sa problématique du vide à combler, le vide étant la traduction symbolique de la trop longue nuit, de la trop longue absence qui caractérisent le début de l’hiver.

L’adapté laisse sa vision totalisante se décanter pour n’en retenir que ce qui la rend plus pure, plus vraie et plus forte. L’inadapté croit en faire autant, alors qu’il n’est qu’un liquidateur en proie à une vison totalitaire qui lui fait éliminer radicalement de son esprit comme de son existence tout ce qui n’y est pas conforme. On pourrait aller jusqu’à dire que chez tout inadapté du Signe sommeille un petit Staline, un petit Mao-Tsé Toung [47]. « Elle n’avait plus aucun contact avec l’art dramatique de son temps, en pleine évolution…, nous apprend encore Françoise Giroud sur Cosima Wagner — fille de Marie d’Agoult et de Franz Liszt. Elle était pétrifiée, incapable de s’ouvrir sur l’avenir, puisqu’il n’y avait plus d’avenir pour l’Art, puisqu’il n’y avait qu’un Art, celui de Wagner, et qu’une règle pour l’interpréter, la “tradition”. » Où finit l’abnégation, où commence le fanatisme ? À partir de quand le dépouillement fait-il place à la liquidation ? L’emprise et la démesure auxquelles l’inadapté est sujet lui rendent le distinguo impossible. La fille de J. D. Salinger s’est plainte d’avoir « … un père à la fois absent et dominateur. Qui donne tout à son travail et très peu à ses proches. Qui empêche ses enfants de lire un livre ou d’écouter un morceau de musique qui ne satisferait pas ses “exigences inhumaines de perfection” ». « Ce n’est pas parce que les gens sont uniques qu’ils ont tous les droits », conclut-elle [48].

Cette facette porte à rester froid ou serein quand il y aurait lieu de s’inquiéter et inversement. De son propre aveu, Simone de Beauvoir, qui avait érigé ses convictions politiques en absolu, ne s’est absolument pas émue des « problèmes politiques que posait la politique d’Hitler [49] ». « Je peux contempler des atrocités qui me laissent froid, et être, au contraire, extrêmement remué par quelque chose qui semblerait anodin aux autres », a confié le patron de presse Daniel Filipacchi [50].

Howard Hughes a beau avoir été une figure héroïque et inspirée du XXe siècle, il n’en a pas moins eu des agissements conformes à l’incohérence solsticiale [51]. Milliardaire, il a dépensé des sommes exorbitantes pour satisfaire ses passions et perdu beaucoup de son précieux temps à chipoter sur les modestes honoraires de ses domestiques. Muré dans sa chambre d’où il dirigeait ses sociétés et régentait tout le monde par téléphone, il prenait des décisions cruciales sur la foi d’informations non vérifiées entendues à la télévision qu’il laissait allumée en permanence. Souffrant d’une peur obsessionnelle des microbes, il s’est démené pour la propreté et l’asepsie des lieux où il résidait, a imposé des rituels aussi contraignants que grotesques à ses serviteurs, mais négligé de respecter pour lui-même les règles les plus élémentaires de l’hygiène. Dans sa jeunesse, Hughes avait battu le record du tour du monde en avion, piloté avant ses pilotes d’essai les prototypes qu’il avait conçus, racheté la compagnie TWA, etc. Après trente années de réclusion volontaire où il mangeait tous les jours la même chose et ne changeait jamais de vêtements, ce stupéfiant personnage est mort en plein ciel dans l’avion privé qui le transportait déjà inconscient à l’hôpital [52] ! « Hughes, déclarera l’un de ses anciens employés, est le seul homme que j’aie jamais connu dont il ait fallu attendre la mort pour être sûr qu’il ait vécu [53]. »

Curieux et parfois effrayant animal que l’inadapté du Capricorne. Incapable d’exister par lui-même, il a besoin de se trouver une cause qui n’est souvent qu’un faux dieu auquel il offre le monde entier en sacrifice, y compris lui-même ou ses propres enfants, à l’instar de Saturne qui dévorait les siens et à qui la Tradition attribue la maîtrise du premier Signe d’hiver [54].

Cet article vous a été proposé par Françoise Hardy

[1] Né sous une conjonction Soleil-Mars-Saturne en Capricorne, mais aussi une conjonction Lune-Mercure en Sagittaire, Umberto Eco était porté par le Sagittaire à avoir des centres d’intérêt multiples, à être surconnecté, et par le Capricorne à n’avoir qu’une idée en tête, à être déconnecté.

[2] Françoise Giroud, Cosima la sublime, Fayard.

[3] Stéphane Deschamps, Les Inrockuptibles, novembre 2002.

[4] Il y a évidemment de nombreuses exceptions. Une dominante lunaire ou solaire peut favoriser l’égocentrisme, chez les Capricornes comme chez les autres.

[5] Jérôme Spycket, Clara Haskil, Payot Lausanne.

[6] Ce décalage trouve sa correspondance dans celui entre le « non-moi » de la nuit la plus longue de l’année et le « moi » du jour le plus court.

[7] Simone de Beauvoir, La Force des choses, Gallimard.

[8] Entretiens radiophoniques Paul Léautaud-Robert Mallet. Paul Léautaud était Capricorne Ascendant Scorpion, et sa Lune natale était en Taureau, trois Signes de « non ».

[9] Jean-Marc Loubier, Louis Jouvet, Ramsay.

[10] Gérard Depardieu est Capricorne Ascendant Sagittaire.

[11] Les Inrockuptibles, article de Richard Robert, fin janvier 2003.

[12] Ce qui ne veut pas dire que la note capricornienne soit juste.

[13] Fellini par Fellini. Entretiens avec Giovanni Grazzini, « Champs Contre-Champs », Flammarion.

[14] Lauren Bacall, Par moi-même, Stock.

[15] Jean-Jacques Dupuis, Cary Grant, Édilig.

[16] Jérôme Spycket, Clara Haskil, Payot Lausanne.

[17] Lara Fabian est née sous le Signe du Capricorne, mais son ciel est dominé par l’axe Lion-Verseau. Pas vraiment limité vocalement, Elvis Presley n’a guère abusé des effets de voix et si David Bowie a donné dans le spectaculaire, c’est plus son amas Lune-Saturne-Pluton en Lion qu’il faut mettre en cause que le Capricorne.

[18] Geoff Barrow, compositeur et producteur des deux albums exceptionnels de Portishead.

[19] Out of season est le titre du dernier album de Beth Gibbons. C’est un titre qui renvoie à la notion d’intemporalité à laquelle sensibilise le Capricorne.

[20] Voir note 11.

[21] Expression empruntée à un texte d’Étienne Daho, natif du Signe.

[22] Maurice ainsi que d’autres romans de l’écrivain anglais E. M. Forster, notamment Howards End, ont été adaptés à l’écran par le cinéaste américain James Ivory, Soleil en Gémeaux, Lune en Capricorne.

[23] E. M. Forster, Maurice, The Provost and Scholars of King’s College, Cambridge.

[24] Interview accordée à l’auteur, octobre 2001.

[25] À l’heure où sont écrites ces lignes, nul ne sait si Ingrid Betancourt, prisonnière de rebelles colombiens depuis des mois, est encore en vie.

[26] Voir note 11.

[27] Roger Boussinot, Encyclopédie du cinéma, Bordas.

[28] Cité par Marie-Dominique Lelièvre, Libération, janvier 2003.

[29] Françoise Monnin, décembre 2000.

[30] « Dying is easy, it’s living that scares me to death… »

[31] Annie Lennox et Dave Stewart avaient formé le célèbre groupe britannique Eurythmics.

[32] Françoise Giroud, Si je mens, Stock.

[33] Il faut sans doute donner à « expérience » le sens d’expérimentation, d’essai, de tentative.

[34] Article de Lorraine Millot, Libération, août 1998.

[35] Au Soleil fort de Diana faisait pendant le Soleil faible et un Saturne culminant chez Élisabeth, or le Soleil facilite l’art ainsi que les facilités du Paraître, alors que Saturne accentue les raideurs capricorniennes, tout en axant davantage sur les profondeurs de l’Être. Sur le plan des conditionnements éducatifs, la ligne « never explain, never complain » n’a évidemment pas arrangé les choses.

[36] Jeanne Champion, Suzanne Valadon, Presses de la Renaissance.

[37] Jérôme Spycket, Clara Haskil, Payot Lausanne.

[38] Simone de Beauvoir, La Force de l’âge, Gallimard.

[39] Voir note 36.

[40] Stéphane Deschamps, Les Inrockuptibles, novembre 2002.

[41] Article de Frédéric Rousselot, Libération, avril 2002.

[42] Antonin Nicolas.

[43] Howard Hughes est mort en 1976. La Vierge, que Hughes avait comme Signe Ascendant, porte autant à se cacher que le Capricorne. Sur le plan des conditionnements « terrestres », l’accident d’avion dont il a été victime en 1946 a sans doute joué un rôle important.

[44] Jacques Chancel, journaliste et animateur de radio et de télévision, Cancer Ascendant Capricorne.

[45] Psychoportraits du XXe siècle, Éditions Josette Lyon.

[46] Charles Dupêchez, Marie d’Agoult, Perrin.

[47] Hitler avait le Soleil en Taureau et la Lune en Capricorne.

[48] Fabrice Rousselot, Libération, avril 2002.

[49] Simone de Beauvoir, La Force de l’âge, Gallimard.

[50] Interview faite par l’auteur en 1986, pour l’ouvrage Entre les lignes, entre les Signes.

[51] À la naissance de Howard Hughes, tous les Signes de solstice étaient occupés par six planètes et le Soleil.

[52] Michael Drosnin, Citizen Hughes, Presses de la Renaissance.

[53] Article d’Antonin Nicolas.

[54] L’astrologie moderne réfute les maîtrises traditionnelles qui portent les personnes non averties à croire que les tendances de la soi-disant planète du Signe marquent leur psychologie. Bien qu’il existe des analogies entre certaines planètes et les signes dont on leur a accordé la maîtrise, on peut être Capricorne sans être saturnien, Taureau ou Balance sans être vénusien, Lion sans être solaire, Bélier sans être martien, et il n’y a pas plus éloigné des tendances auxquelles prédispose le signe de la Vierge que celles auxquelles prédispose Mercure. Mais l’on peut, bien sûr, être, par exemple, à la fois virginien et mercurien, puisqu’il suffit d’être né à une heure forte — lever, culmination, coucher, minuit — de Mercure, pour avoir certains des traits de caractère auxquels prédispose cette planète.

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