Les deux astrologies tibétaines
La forme la plus antique de l’astrologie tibétaine est liée au Bön, religion originelle de ce peuple de l’Himalaya. Le Bön était un mélange d’animisme et de panthéisme magico-chamanique pour qui le monde était gouverné par une multitude de déités bienveillantes ou malfaisantes dont les astres faisaient partie. À proprement parler, il ne s’agit pas d’astrologie, mais d’astrolâtrie, c’est à dire de culte rendu aux astres, associé à des pratiques magiques (prières, talismans, etc.).
La légende veut que le Tibet ait été un territoire fermé sur lui-même. En réalité, il a toujours été traversé par de multiples influences religieuses et culturelles. Celles de l’Inde et de la Chine ont été prépondérantes. Or ces deux civilisations ont développé des formes d’astrologie très différentes.
L’astrologie indienne, elle-même issue pour une grande part de l’astrologie chaldéenne, associe étroitement astronomie et astrologie ; en ce sens, elle ressemble un peu à l’astrologie telle qu’elle est pratiquée en Occident, à ceci près que l’astrologie indienne est une astrologie sidérale, qui accorde une influence déterminante aux étoiles et constellations. Inversement, ce qu’il est convenu d’appeler l’astrologie chinoise est en fait une sorte de numérologie cosmique ou de géomancie (technique divinatoire fondée sur l’observation des figures formées par de la terre ou des cailloux jetés au hasard sur une surface plane) qui ne se réfère pas aux mouvements réels et observables des corps célestes, mais à des rythmes et cycles imaginaires ainsi qu’à des directions dans l’espace terrestre. En ce sens, l’astrologie chinoise n’est pas de l’astrologie, mais une technique divinatoire magique.
Entre ces deux conceptions différentes et même contradictoires, les tibétains n’ont pas fait le choix. Il existe donc deux astrologies tibétaines : celle d’origine chinoise appelée Djoungtsi ou astrologie des Éléments, et celle d’origine indienne dénommée Kartsi ou astrologie des étoiles. La première n’étant pas de l’astrologie au sens où nous l’entendons en Occident, nous nous intéresserons exclusivement à la seconde.
Le zodiaque des étoiles
L’une des principales différence entre l’astrologie occidentale et l’astrologie indo-tibétaine est que la première se réfère au zodiaque tropique, basé sur les différentes phases du parcours apparent du Soleil autour de la Terre et la seconde au zodiaque sidéral, basé sur les groupements d’étoiles se trouvant à l’arrière-plan de la course solaire. Du fait de la précession des équinoxes (voir encadré), les deux zodiaques diffèrent d’environ 24°, ce qui veut dire que le Soleil à 0° du Bélier en zodiaque tropique, occidental, se trouve à 6° des Poissons en zodiaque des constellations, tous les Signes étant décalés de 24°. Un « Bélier » chez les français est donc un « Poissons » pour les tibétains.
À l’exception de cette différence de 24°, les astrologues tibétains utilisent les mêmes principes que le zodiaque occidental traditionnel : définition des Signes par la théorie hellénistique des Éléments (Feu, Terre, Air, Eau), et division en Signes cardinaux ou « mouvants » (yowa), fixes ou « stables » (tenpa), mutables ou « entre deux » (barma), système des « maîtrises planétaires », chaque Planète « gouvernant » un Signe, etc.
Les planètes tibétaines
Comme les indiens, les astrologues tibétains ne prennent en compte que les sept planètes traditionnelles, visibles à l’œil nu. Ils éliminent donc les planètes trans-saturniennes que sont Uranus, Neptune et Pluton, ce qui est un non-sens, puisque ces planètes existent bel et bien, et existaient avant d’avoir été découvertes. Le Soleil (Nyiama) est représenté par un disque rouge, la Lune (Dawa) par un croissant blanc, Mars (Migmar) par un œil rouge et blanc, Mercure (Lhagpa) par une main bleue, Jupiter (P’ourbou) par un phourba (poignard rituel vert), Vénus (Pasang) par une pointe de flèche blanche et Saturne (Penpa) par un fagot jaune.
L’astrologie indo-tibétaine fait également grand cas des nœuds lunaires ou points d’intersections entre l’orbite de la Lune et l’écliptique. Le Nœud nord s’appelle Râhu et le Nœud sud Ketu. Les Planètes et les Nœuds ont grosso modo les mêmes significations qu’en astrologie occidentale classique.
Les Planètes sont classées selon leur ordre croissant de force : le Soleil est la plus forte, puis viennent dans l’ordre la Lune, Vénus, Jupiter, Mercure, Mars et Saturne. On distingue aussi les Planètes bénéfiques (Jupiter, Vénus, Mercure bien aspecté, Lune du 8e au 16e jour de la lunaison) et maléfiques (Saturne, Mars, Soleil, Mercure mal aspecté, Lune du 17e au 7e jour, Râhu et Ketu), les masculines (Soleil, Mars et Jupiter), les féminines (Lune et Vénus) et les neutres (Mercure et Saturne).
Enfin, chaque Planète a sa ou ses planètes « amies », « neutres » ou « ennemies » permanents ou temporaires. Par exemple, le Soleil est ami permanent avec Lune, Mars et Jupiter, neutre permanent avec Mercure, et ennemi permanent de Vénus, Saturne et du Nœud nord, alors que Saturne est ami permanent avec Vénus et Mercure, neutre permanent avec Jupiter et ennemi permanent de Mars, Lune et Soleil. Les Planètes qui se trouvent dans les 2e, 3e, 4e, 10e, 11e ou 12e Signe après celui occupé par la Planète considérées ont considérées comme « amies temporaires », et celles qui se trouvent dans les 1er, 5e, 6e, 7e, 8e ou 9e Signe comme « ennemies temporaires ». En combinant amitiés, neutralités et inimitiés permanentes et temporaires, on obtient un classement des Aspects allant de « Planètes meilleures amies » (équivalant à nos « bons Aspects ») à « Planètes pires ennemies » (équivalant à nos « mauvais Aspects »).
La carte du ciel tibétaine
Rectangulaire, elle ressemble beaucoup aux horoscopes occidentaux du Moyen-âge. Le Signe Ascendant (tatkala) se trouve en haut au centre, puis suivent les Maisons dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Les Planètes sont désignées par les chiffres de 0 à 9 à l’exception du 7 : Saturne 0, Soleil 1, Lune 2, Mars 3, Mercure 4, Jupiter 5, Vénus 6, Nœud nord 8, Nœud sud 9.
Les douze Maisons ont sensiblement les mêmes significations qu’en astrologie occidentale traditionnelle. Par contre, les Aspects interplanétaires tibétains diffèrent radicalement des nôtres, puisqu’ils se mesurent de Signe à Signe sans prendre en compte le nombre de degrés d’arc qui séparent les Planètes, et que la conjonction n’est pas considérée comme un Aspect alors que l’opposition est l’Aspect majeur absolu, ce qui est pour le moins étrange d’un point de vue astronomique.
Enfin, autre bizarrerie indo-tibétaine que rien ne justifie, Mars, Jupiter et Saturne ont des Aspects spéciaux. Par exemple, Mars aspecte automatiquement le 4e et le 8e Signe à partir du Signe qu’il occupe. Enfin, les astrologues tibétains ne divisent pas les Aspects en consonants (sextile, trigone) et dissonants (carré, opposition) : la valeur positive ou négative de l’Aspect est déterminée par la relation amicale ou amicale entre les Planètes ainsi que par le Signe où elles se trouvent.

Les 26 demeures de la Lune
Les astrologues tibétains font aussi grand cas du zodiaque lunaire. Il divise l’année en 28 Signes lunaires ou gyoukars. Chaque gyoukar mesure 13° 20 d’arc, soit la vitesse moyenne de la Lune.
Pour des raisons inconnues, le gyoukar n° 21 est divisé en deux parties égales, ce qui fait que les 26 gyoukars sont en fait 27. Enfin, comme les Signes du zodiaque en astrologie traditionnelle occidentale, chacun d’entre eux est « gouverné » par une planète ou par les Nœuds de la Lune. Cette forme d’astrologie lunaire, très archaïque, est commune à toutes les grandes civilisations antiques. Elle n’est plus du tout utilisée en Occident.
Le thème d’Alexandra David-Neel selon l’astrologie tibétaine
Si nous connaissons la religion et la culture tibétaine aujourd’hui, c’est sans aucun doute grâce à la grande voyageuse, aventurière et mystique que fut Alexandra David-Neel, qui fut au début du XXe siècle la première étrangère à pénétrer dans Lhassa, la capitale du Tibet, et à s’initier au bouddhisme tibétain avec un lama.

Selon l’astrologie sidérale tibétaine, elle n’est pas Scorpion Ascendant Balance, mais Balance Ascendant Vierge, ce qui en fait une personne sociable mais réservée. Son Signe lunaire correspond au gyoukar Djishyin, qui lui donne un caractère colérique avec peu de désirs, fait d’elle une sage érudite nantie d’un bon cœur qui aime voyager, écrire et a beaucoup d’énergie. Avec le Soleil meilleur ami de la Lune et à l’Ascendant, son esprit et ses émotions font excellent ménage et elle est pleine de volonté et de courage, mais avec Saturne dans le 1er Signe après la Balance, son pire ennemi est le manque de spiritualité. L’opposition Lune-Nœud nord rend difficile ses relations maternelles et nuisent au développement de ses facultés intellectuelles. Avec Jupiter dans son Signe, les Poissons en Maison VI, et ami de Mars, elle triomphera sans peine de ses ennemis. Avec Mercure et Saturne ennemis en Maison II, elle aura du mal à accumuler des biens, etc.
Périodes planétaires et prévisions
Les astrologues tibétains ont une méthode originale pour prédire l’avenir. Elle découle d’une très ancienne intuition indienne, selon laquelle la durée idéale de la vie humaine serait de 120 ans… qui correspond à l’estimation qu’en font actuellement les biologistes contemporains.
À chaque Planète et aux Nœuds lunaires sont attribués des « périodes planétaires » qu’elles gouvernent. Par exemple, la durée de la période vénusienne est de 20 ans, celle de la période jupitérienne de 16 ans. Ces durées ne correspondent à aucun cycle astronomique connu : elles sont donc parfaitement arbitraires. Elles se succèdent dans l’ordre suivant : Ketu, Vénus, Soleil, Lune, Mars, Râhu, Jupiter, Saturne, Mercure.
La Planète ou le Nœud lunaire gouvernant le gyoukar ou Signe lunaire de naissance détermine la nature des premières années de la vie. Exemple : si la Lune se trouvait dans le gyoukar n° 19 (Tchoutö) gouverné par Vénus, les premières années de la vie seront sous la domination de cette Planète. Les périodes les plus favorables sont celles placées sous le gouvernement des Planètes « paisibles » (Lune, Jupiter, Mercure, Vénus), les moins favorables celles qui sont gouvernées par les Planètes « violentes » (Soleil, Mars, Saturne, Nœuds lunaires). Exemple : « Durant la période de la Lune, on jouira d’une bonne santé et d’un bon sommeil, du confort, de l’accroissement des richesses et des qualités. C’est une période qui favorise les grands voyages, la popularité et la naissance d’enfants ».
Enfin, il existe toutes sortes de méthodes de divination basées sur les noms des jours de la semaine (rappelons que les noms des jours viennent de ceux des Planètes : le lundi est le jour de la Lune, Mardi celui de Mars, Mercredi celui de Mercure, etc.). Ces pratiques ne ressortent pas directement de l’astrologie naturelle, mais de la magie, de l’analogie et de la superstition.
Le rôle de l’astrologue dans la société tibétaine
Le tsipa (l’astrologue) était la plupart du temps un lama (un religieux). Dans les grands monastères, il fixait les dates favorables aux cérémonies, établissait le calendrier des fêtes religieuses et faisait des prévisions concernant la météorologie et l’agriculture. Dans les villages, le lama-astrologue tibétain calculait et interprétait l’horoscope de naissance des nouveaux-nés, étudiait la compatibilité des horoscopes des futurs époux. À ces travaux astrologiques étaient systématiquement associées des pratiques magiques : rituels, talismans, fétiches destinés à éloigner les mauvaises influences astrales.
Le tsipa était également responsable de la shintsi, « l’astrologie des morts ». En fonction du thème astral du défunt et de la date de sa mort, il déterminait à quel moment il fallait procéder à ses funérailles et quelles pratiques magiques étaient nécessaires pour purifier son âme et lui permettre ainsi une meilleure réincarnation.
Enfin, comme dans l’Occident médiéval, l’astrologie était intimement associée à la médecine, et couramment utilisée pour déterminer les meilleurs moments pour fabriquer des médicaments et les administrer aux malades. À Lhasa, capitale du Tibet, le XIIIe Dalaï-lama a même créé au début du XXe siècle un collège de médecine et d’astrologie, le Mentsi Khang, qui n’a cessé de fonctionner qu’avec l’invasion chinoise de 1950. Aujourd’hui, encore, il existe en Inde, à Dharamsala, capitale en exil des tibétains, un « Centre Médical Tibétain » qui comprend un institut d’études astrologiques.
Que faut-il penser de l’astrologie tibétaine ?
À l’évidence, il s’agit d’une forme très archaïque d’astrologie, qui a intégré, par l’intermédiaire de la civilisation indienne et en les adaptant à la religion et à la culture bouddhiste, le savoir de l’astrologie suméro-hellénistique telle qu’il se présentait entre −200 et + 200 après J.-C. Dans ses théories comme dans ses pratiques, elle ressemble fortement à l’astrologie pratiquée en occident à la fin du Moyen-Age. L’astrologie tibétaine telle qu’elle est actuellement enseignée est un savoir momifié, qui n’a pas évolué depuis deux mille ans. La vision du monde qu’il véhicule est fataliste, ultra-déterministe, irrationnelle. Il est pour le moins curieux que le bouddhisme tibétain contemporain, qui se pique de modernité et de science, n’ait pas songé à dépoussiérer et réformer sa connaissance des astres en la dépouillant de ses aspects rituels, magiques, irrationnels. Bref, si vous êtes bouddhiste et que vous avez envie de mieux vous connaître grâce à l’astrologie, ne comptez pas trop sur l’astrologie tibétaine pour y parvenir…
Texte paru dans Astrologos n° 2, décembre 2000.