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Histoire de l’astrologie arabe au Moyen-âge

Après les fastes intellectuels de l’époque hellénistique, l’irruption du christianisme et le partage de l’empire romain (en 395 apr. J.-C.), l’astrologie avait pratiquement disparu des préoccupations européennes. Vers le VIIe siècle, aucun texte de référence faisant état d’un progrès ou d’un renouvellement du savoir astrologique ne nous est parvenu depuis la Tétrabible de Ptolémée (140 apr. J.-C.). C’est grâce à la civilisation arabe et à l’essor intellectuel qu’a impulsé l’Islam originel que l’astrologie de tradition hellénistiques est réapparue sur le vieux continent, à partir du XIIe siècle.

L’apparition de l’astrologie dans le monde arabe

Entre le IXe et le XIIe siècle, on assiste à une indubitable période d’hégémonie intellectuelle du monde arabo-musulman, tandis que l’Occident s’enfonce dans l’épais et inerte nuage d’ignorance du Moyen-Age chrétien que seules agitent quelques tempêtes de disputes théologiques byzantines.

Lorsque l’Islam est né en Arabie vers 620 apr. J.-C., la civilisation arabe n’avait pas développé une très grande curiosité envers les sciences en général et l’astrologie en particulier, et les abstractions philosophiques lui étaient dans une très large mesure étrangères.

Pendant la phase d’expansion et de conquête de l’Islam, les Arabes, en envahissant d’autres territoires et en se confrontant ainsi à d’autres civilisations, ont rencontré tout un patrimoine dans le domaine des sciences exotériques ou ésotériques, dont l’astrologie faisait partie. Les bédouins avaient certes l’habitude d’examiner les astres avant la révélation du Coran à Mahomet, mais cette astrologie embryonnaire n’avait aucun rapport avec la riche et complexe astronomie technique développée avant eux par les Grecs à la suite des Chaldéens. Cette astrologie primitive, simple observation des astres à visée essentiellement météorologique, a petit à petit annexé les savoirs astrologiques qui existaient déjà dans les pays affectés par le zoroastrisme et même par l’hindouisme.

Mais les fondements naturels de l’astrologie arabe viennent de la rencontre de l’Islam conquérant avec le patrimoine scientifique et philosophique des anciens Grecs, qui était à l’époque extrêmement bien conservé en Syrie et en Égypte. Les Arabes ont adopté et se sont très vite approprié, apparemment sans complexes, la conception du monde aristotélicienne. Les grands textes de l’astrologie grecque, tels le Tétrabible de Ptolémée, seront rapidement traduits en arabe, et la pratique de l’astrologie “occidentale” par les musulmans a sans doute démarré dès le VIIe-IXe siècle apr. J.-C.

L’astrologie, savoir exogène, pouvait-elle entrer en contradiction avec la parole de l’Islam, comme cela lui est arrivé avec le christianisme ? L’un des dogmes essentiels de l’Islam affirme que la vie humaine est toute entière finalisée en fonction de l’obéissance à la loi divine telle qu’elle est révélée dans le Coran, et que là réside l’essentiel de l’être-au-monde musulman. Une vision gnostique et immanente comme celle que développe l’astrologie n’était pas prévue par l’Islam prophétique et transcendant. Mais par ailleurs, le prophète lui-même incitait les croyants à étudier les sciences : le savoir ne saurait être l’ennemi de la foi, pourvu qu’il concourre à mieux comprendre la création de Dieu. Ainsi l’Islam médiéval a-t-il généralement été extrêmement tolérant envers toutes les formes de savoir : à partir du moment où on respectait au moins les normes extérieures de la loi coranique, les théologiens musulmans pouvaient tolérer et même encourager beaucoup d’attitudes cognitives et spirituelles différentes : l’astrologie en a amplement profité.

Astrologie et philosophie grecque en Islam

Il ne fait pas de doute que les savants arabes, surtout au IXe et au Xe siècle, ont développé de puissantes tentations encyclopédistes, un peu à l’image de ce qui s’est produit en Occident à la Renaissance (toutes proportions gardées bien sûr). Les domaines du savoir étaient divisés en deux grandes catégories : la première comprenait les sciences islamiques, spécifiquement religieuses et arabes, qui servaient au salut individuel et à l’organisation collective de la communauté des croyants, comme par exemple le droit musulman, la théologie coranique et la grammaire arabe. La seconde catégorie regroupait les “sciences étrangères”, en fait quasiment toutes issues du patrimoine hellénistique : la philosophie, l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie et l’astrologie, l’alchimie, connues par les traductions en arabe des textes grecs antiques.

Les plus audacieux des penseurs musulmans ont repris à leur compte la pensée aristotélicienne et l’héritage astrologique de Ptolémée, et essayé de montrer comment ces connaissances pouvaient s’articuler avec la pensée islamique, de telle manière que révélation prophétique et savoir philosophique se rejoignent dans une sorte de sagesse commune.

Les intellectuels arabes ont donc intégré dans leur vision du monde la conception aristotélicienne, laquelle pouvait assez aisément se combiner avec la théologie islamique : le Dieu unique et concret du Coran, commandant toutes choses, n’était pas contradictoire en soi avec le Dieu abstrait d’Aristote, conçu comme “premier moteur” des chaînes causales de la création, ordonnant le monde par l’intermédiaire des sphères célestes.

Ce qui fait la particularité de l’astrologie arabe, c’est donc sa rencontre avec la tradition hellénistique, qui est une science encore vivante en Syrie et en Égypte au moment de la conquête arabe. Les deux sources principales de l’astrologie arabe sont la physique aristotélicienne et l’astronomie de Ptolémée.

Rappelons que la conception du cosmos aristotélicienne et ptolémaïque est géocentrique. Elle postule qu’il existe autour de la Terre sept sphères qui sont comme d’immenses globes transparents tournant autour de leur axe ; à la surface de chacun d’eux se trouve une planète. Il existe également une sphère supplémentaire dite des “étoiles fixes” sur laquelle se trouvent toutes les étoiles et constellations qui apparemment ne bougent pas, à la différence des planètes et des deux luminaires ; enfin, une dernière sphère englobe les précédentes et délimite l’univers.

Ce donné aristotélicien servait de base à la conception du monde de tous les intellectuels de l’époque. L’astrologie intervenait à partir du moment où l’on se posait le problème de l’efficacité que l’on donne à ces sphères célestes. La pensée que tout ce qui se produit sur notre Terre est en fait engendré et déterminé par la position des astres était admis par une majorité d’intellectuels arabes, astrologues ou non.

Pour l’aristotélisme, un fondement scientifique, causal, expliquait la nature du cosmos. Par exemple, l’explication du mouvement, de l’acte et de la puissance, des causes finales, efficientes, matérielles, formelles, tous ces concepts mécanistes étaient utilisés pour analyser le mouvement des astres et leur influence sur la Terre. D’ailleurs, on pouvait partir d’Aristote lui-même, de ses Météorologiques, où il affirmait que tous les mouvements du monde inférieur, sublunaire, sont en contiguïté avec les mouvements célestes, de sorte que les astrologues pouvaient trouver une justification philosophique à cette action des astres sur les choses de la Terre. Pour les astrologues arabes, il s’agissait donc d’opérer le passage entre la philosophie, la métaphysique presque abstraite d’Aristote, et son insertion dans le monde concret où l’on peut voir en action l’acte et la puissance, et constater les effets des astres dans la Nature.

Sous l’impulsion du calife Al Mamoun au IXe siècle se développe un très puissant mouvement de traduction de textes grecs et persans. Al Mamoun fonde à Bagdad une “Maison de la science” où les savants avaient entre autre pour mission de vérifier les théories de Ptolémée. Ces astronomes (musulmans, païens, juifs) ont créé les tables astronomiques ; la plupart de ces savants étaient aussi des astrologues. Le premier directeur de la “Maison de la science” était un astronome-astrologue qui a écrit des ouvrages astrologiques.

Allah et les planètes

L’astrologie pouvait-elle s’articuler avec la notion du Dieu coranique ? Allah, très volontariste, intervenant à chaque moment pour chaque phénomène qui a lieu dans le monde, ne risque-t-il pas de se retrouver en compétition avec l’influence des astres ? C’est en fonction de cette interrogation que se sont situées les prises de position pour ou contre l’astrologie. La position théologique la plus courante — et la moins dérangeante — était de se dire que les astres influencent ou peuvent certes influencer le cours de la vie humaine, mais qu’il le font par autorisation expresse de l’autorité divine, laquelle peut très bien à n’importe quel moment, par décision suprême, interrompre leur influence.

Les débats entre théologiens pro ou anti-astrologues avaient lieu par traités interposés. Lors de séances entre savants, on discutait pour savoir comment l’astrologie pouvait être vraie ou pas, et tous les débats portaient sur deux points fondamentaux. Le premier est plutôt philosophique et scientifique : “Est-ce que l’astrologie est vraie, est-ce que les astres ont un impact et permettent réellement de prévoir des événements ?

À cela, certains savants musulmans rationalistes répondront, tel Avicenne (950–1037, philosophe et médecin iranien disciple d’Aristote) que l’astrologie n’est pas démonstrative, qu’elle ne peut rien prédire, parce qu’on ne peut pas faire d’expériences susceptibles de valider empiriquement les assertions des astrologues. Exemple : “On dit que Mars influe dans le sens du combat, de la guerre ; mais il n’existe pas d’observation qui permette de vérifier systématiquement cette affirmation. Donc l’astrologie est pure conjecture.

D’autres types d’arguments anti-astrologiques, d’ordre moral et théologique, viendront aussi des docteurs de la loi coranique : “Est-il licite de pratiquer l’astrologie alors même qu’on sait et qu’on croit que Dieu est responsable de toutes les actions du monde ?” À cette question, un grand théologien musulman a apporté une réponse selon laquelle l’astrologie ne peut rien apporter de bon à l’Homme ; même si elle était vraie, ce dont il doutait, de toute façon cela ne pourrait que détourner l’Homme de sa foi en Dieu et de sa responsabilité individuelle face à son propre destin ; il n’y avait donc aucun bénéfice à la pratiquer et aucun inconvénient à l’ignorer. D’autres commentateurs du Coran soutenaient au contraire l’idée que toute connaissance est bonne, que plus on connaît, plus on a de pouvoir pour bien diriger sa vie, et estimaient qu’il valait donc mieux connaître l’astrologie, parce qu’elle pouvait éventuellement permettre de mieux discerner le Bien du Mal et ainsi devenir un meilleur musulman.

Pendant les premiers siècles de l’Egire (VIIIe, IXe et Xe siècle de notre ère), l’astrologie était en tout cas présente partout, même dans les souks arabes, et presque systématiquement à la cour des puissants. Au final, c’est pourtant l’opinion des anti-astrologues, qu’ils soient aristotéliciens rationalistes comme Avicenne ou théologiens intégristes qui finiront par prévaloir… Il faut dire que les astrologues arabes, ultra-déterministes, avaient donné de sérieuses armes à leurs ennemis !

Spécificité de l’astrologie arabe

La relation de participation que l’on relève dans les indices de tous les astres, et qui sont marqués sur l’ensemble des choses dans le monde d’en-bas, cette relation est connue de façon certaine. L’association et la différenciation se produisent dans les parties composantes des végétaux et des minéraux, ainsi que dans les couleurs. La couleur blanche relève de la Lune, du Soleil et de Vénus ; le rouge est apporté par Mars, avec participation du Soleil ; la couleur noire est apportée par Saturne, surtout s’il est conjoint à Mercure ; le jaune relève du Soleil et de Mars avec participation de Jupiter. La couleur bleue et la couleur verte sont rapportées à Vénus, et le reste des couleurs ont leur origine selon la participation qu’elles impliquent. De même en est-il pour les saveurs, les parfums. Et quant à la génération, au fait de donner une forme ronde, longue, courte, carrée, courbe, toutes ces qualités comportent des indices émanés du monde d’en-haut dans l’ensemble des choses.

Ce texte, extrait de l’œuvre d’Abou Marchar, le plus illustre des astrologues savants arabes, illustre bien l’une des caractéristiques essentielles de l’astrologie arabe : la conception hyper-déterministe qu’elle se faisait des relations entre l’Homme et le Ciel.

L’Homme est un peu pris comme dans une espèce d’étau de forces qui sont éternelles, inchangeantes, continuellement en action et qui peuvent aller jusqu’à menacer sa propre liberté individuelle. Abou Marchar va jusqu’à dire que “l’Homme ne décide que ce que les planètes ont déjà décidé avant lui”. Et c’est au nom d’un aristotélisme abstrait mâtiné de mysticisme musulman qu’il défend l’astrologie :

La génération et la corruption des choses sont produites dans ce monde par le mouvement des planètes et leur entrée dans chaque emplacement du cercle par ordre de Dieu. Ainsi l’on est amené à affirmer premièrement que le mouvement du cercle est causé par la puissance de la cause première. Rappelons les dires d’Aristote lorsqu’il déclare ‘puisque la sphère est mue, il est nécessaire que son mouvement provienne d’une source immobile’, parce que si ce qui meut était mû à son tour, il s’ensuivrait un procédé à l’infini. Ensuite, le mouvement de la sphère est éternel en vertu de sa cause qui est elle-même éternelle. Or, comme sa puissance est éternelle, il n’est pas possible qu’elle soit d’essence corporelle, bien qu’elle puisse mouvoir les corps. Enfin, comme sa puissance n’a pas de fin, elle ne diminue point et n’est point corruptible. Voyez comment par les choses visibles et accessibles aux sens, on est parvenu au Créateur, c’est-à-dire qu’il est éternel, d’une puissance sans fin ni limite, non mû et impérissable, le Très-Haut. Que son nom soit béni et exalté dans une suprême exaltation.

Dans l’optique de l’astrologie arabe, c’est par leur mouvement et leur lumière que les astres agissent. Abou Marchar blâme Ptolémée d’avoir prétendu que les astres avaient des qualités de chaud et froid, de sec et humide, les quatre qualités élémentaires du monde sublunaire. Il prétendait que les Éléments étaient des créations des astres par l’intermédiaire de la lumière et du mouvement. Il y a là probablement une trace de l’ancien zoroastrisme pour qui la divinité était la lumière, ce qui donnait une aura de respectabilité divine à cette contrainte astrale.

Les traités d’astrologie sont devenus des ouvrages techniques indépendants assez tôt, mais c’est surtout avec Abou Marchar (Introductoire à la science des jugements des astres) que l’astrologie commence à se structurer en savoir totalisant, et à vrai dire totalitaire, absorbant l’astronomie, la métaphysique, la physique et la médecine ; la quantité d’introductoires à la science des actes qui sont parus à la suite de celui d’Abou Marchar est assez énorme, et les historiens sont encore loin d’avoir exploré tous les manuscrits astrologiques de cette époque-là.

L’astrologie grecque avait été oubliée en Occident, et son vocabulaire avait disparu. Seuls circulaient, pour les initiés, deux textes classiques latins, le poème de Manilius Astronomica, et les traités de Firmicus Maternus qui avait recueilli certains termes traditionnels de l’astrologie grecque comme “horoscopos”. Mais cela avait été oublié et l’astrologie était très peu répandue avant le XIIe siècle. À partir de la traduction des textes grecs en arabe, puis de l’arabe au latin, les anciens termes grecs sont revenus en Occident, enrichis des conceptions arabes, beaucoup plus concrètes que les grecques. Par exemple, l’horoscopos grec (littéralement : “Qui regarde l’heure”) est devenu grâce aux astrologues arabes l’Ascendant (“Qui s’élève”), concept qui décrivait plus précisément l’ascension des astres dans l’hémisphère diurne à partir de l’intersection entre le plan horizontal et le plan écliptique.

L’astrologie arabe, en même temps qu’hyper-déterministe, est en effet aussi incroyablement vivante et concrète dans ses applications multiples : aucune activité des hommes, si triviale soit-elle ne saurait lui être étrangère et échapper aux prédictions et déterminations astrales. Dans le Centiloquium, ouvrage astrologique d’un des disciples et successeurs d’Abou Marchar, on trouve ainsi le reflet de la vie de tous les jours des sociétés islamiques d’Égypte ou de Bagdad. L’influence des astres sur le moindre métier, la moindre coutume est décrite et précisée avec une minutie d’entomologiste maniaque.

Par le biais de l’aristotélisme que l’astrologie arabo-ptolémaïque porte en elle, l’aristotélisme devient concret, vivant, pour le meilleur et pour le pire. Pour le meilleur certes, les concepts abstraits d’Aristote se mettent à bouger, son mis en situation au quotidien, descendent dans la rue pour y vivre l’épreuve du réel, ce qui peut avoir fait la joie des philosophes expérimentateurs. Mais tout le monde est invité à constater si les astrologues ont raison ou non. La contradiction flagrante entre le caractère anti-conditionnel et purement spéculatif de la théorie astrologique arabe, et les illustrations-descriptions hyper-vivantes, ultra-concrètes, et donc facilement vérifiables, des effets des astres, que les astrologues n’auront de cesse de proposer dans leurs écrits, cette contradiction aura à la longue des effets dévastateurs sur la croyance en l’astrologie, effets que les pires anti-astrologues n’auraient pu produire eux-mêmes.

Notons enfin que l’astrologie arabe est très peu psychologiste. Décrire en soi le comportement du Sujet à travers son thème n’intéresse guère les astrologues musulmans. Leur conception et pratique de l’astrologie, comme dans toutes les sociétés antiques, est davantage axée sur le prédictionnel (meilleures dates pour construire une ville ou déclencher une guerre par ex.) et le relationnel (comparaisons de thèmes pour sceller alliances ou mariages).

L’astrologie arabe a d’ailleurs été très loin dans le domaine relationnel, jusqu’à édifier une véritable “théorie de l’amour astral”. Dans des documents astrologiques arabes, il est clairement écrit que deux êtres dont l’horoscope contient certaines données qui correspondent à Vénus (aspects favorables d’autres planètes, positions en Signes, Maisons, quadrants de la sphère locale, etc.) ne peuvent pas s’empêcher de s’aimer. Dans le Centiloquium arabe, cette théorie est attribuée à Ptolémée, ce qui est faux : elle est spécifiquement arabe, Ptolémée étant beaucoup plus… conditionaliste dans ses assertions astrologiques.

Ainsi chez les Arabes médiévaux, l’astrologie a-t-elle pénétré tous les aspects, toutes les ramifications de la société, y compris dans cette “théorie de l’amour”, où même toutes les “perversions” sexuelles sont précisément attribuées à des configurations planétaires ou justifiées par d’autres éléments astrologiques. Ainsi la tentative de concrétisation du système aristotélicien par les astrologues arabes a-t-elle “sauvé” historiquement l’astrologie hellénistique ; mais en confinant l’astrologie dans la conception aristotélicienne du monde, elle l’a contrainte à en partager le sort épistémologique : si les paradigmes aristotéliciens sont abandonnés, l’astrologie risque de subir le même sort. 0n sait ce qu’il en advint à la Renaissance.

Le fait d’être à la fois philosophes, astrologues et astronomes ne gênait en rien les savants Arabes. En bon philosophe, l’auteur du Centiloquium disait que l’astrologue ne doit jamais prononcer un jugement particulier, mais toujours un jugement universel, parce que dans l’universel, il y a toujours une possibilité que ça soit vrai, et que tout le monde ait une possibilité de loger la volonté. C’est là une façon élégante et abstraite de ne pas traiter réellement un problème essentiel que pose l’astrologie : celui du libre-arbitre.

Abou Marchar lui-même n’était pas exempt des contradictions dues à ses différents statuts, et ne parvenait pas toujours à concilier ces différentes approches. Comme astrologue “pur”, il allait jusqu’à dire que l’homme ne peut faire que ce que les astres ont décidé pour lui d’avance, ce qui exclut la volonté et le libre-arbitre, alors que conne philosophe, il défendait sans cesse la volonté et faisait la différence entre les actes naturels (purs produits des influences du milieu) et les actes volontaires, fruits d’une décision indépendante du milieu. Dans les actes volontaires, il y a pour lui une marge de liberté insensible à l’influence des astres. Mais il se contente de prétendre, artificiellement et arbitrairement, que ce n’est que dans le domaine de la volonté, qu’il se garde bien de définir précisément.

0n sent donc qu’Abou Marchar, à l’instar de nombreux savants arabes médiévaux, tiraillé entre son statut de philosophe et son statut d’astrologue, veut paradoxalement défendre le libre-arbitre tout en affirmant que tout est dirigé par les astres, et sans concilier rationnellement ces points de vue contradictoires. On ne saurait pour autant critiquer cette attitude en arguant du fait qu’il était musulmano-médiéval : après tout, nos modernes astrologues-tartuffes pratiquent les mêmes contorsions quand ils prétendent que “tout ce qui se passe est écrit dans l’horoscope d’un individu, mais tout ce qui est écrit dans son horoscope n’arrive pas nécessairement”…

Pour terminer cette section, un extrait de l’œuvre d’Abou Marchar :

Nous disons donc que tout individu parmi les animaux, végétaux et métaux dans ce monde est composé des quatre Éléments, c’est-à-dire de Feu, de Terre, d’Air et d’Eau. Chaque Élément d’autre part est sujet à augmentation, diminution et transformation l’un dans l’autre. Il existe dans chaque individu la potentialité de subir augmentation, diminution et transformation mutuelles, et leur changement et passage à la corruption et à la composition se font en vertu des Signes et des Planètes sur eux. Or Aristote affirme que les planètes sont animées et qu’elles possèdent des âmes rationnelle. Leurs indications procèdent dons de leur mouvement naturel qu’elles annoncent la fusion de l’âme rationnelle et de l’âme vitale dans le corps, selon le bon vouloir de Dieu. À l’âme rationnelle revient donc le pouvoir de penser et de choisir, et au corps le pouvoir de recevoir les possibles. Si donc les planètes indiquent la fusion de l’âme rationnelle avec l’âme vitale et avec le corps, elles indiquent donc le nécessaire, les impossibles et les possibles.

Les astrologues à l’époque abbasside (750/1258)

Le rôle de l’astrologue est de considérer les choses dans lesquelles existe la potentialité d’accomplissement d’une chose et du contraire auquel elle retourne, mais ne s’arrête pas à leurs propriétés ; en effet, par son exercice des astres, l’astrologue ne s’arrête point à considérer si le feu brûle ou non, car il sait pertinemment qu’il brûle. Ce qu’il tente de découvrir, c’est de savoir si demain tel feu brûlera ou non un corps susceptible de combustion. Lorsque par leurs mouvements les planètes auront indiqué qu’une des choses en question ne se produira pas, il sera impossible qu’elle se produise. Si par contre ils indiquent qu’une chose se produira au moment prévu et sans perturbation, l’existence de la chose arrivera nécessairement. De même, un homme à qui nul empêchement n’enlève la faculté de parler possède la parole en puissance jusqu’au moment où il se met à parler. Dès qu’il parle, son parler tombe à ce moment dans la catégorie du nécessaire. Il est donc prouvé que les planètes sont les indicatrices du contingent et de l’élection” (Abou Marchar)

L’astrologie était largement répandue dans toutes les couches des sociétés arabes médiévales à l’époque des Abbassides : on trouvait à la fois des gens tout à fait simples qui allaient dans le souk pour consulter leur astrologue afin de savoir quand ils allaient soigner leur enfant, marier leur fille ou à quel moment il fallait acheter une chèvre, etc., et en même temps les califes et les princes qui avaient presque tous leurs astrologues attitrés pour décider du moment d’une bataille.

Cette présence de l’astrologie ponctue la vie quotidienne des gens du peuple, mais irrigue également les classes supérieures d’une pensée scientifique par l’intermédiaire de la dimension aristotélicienne que l’astrologie véhicule. L’astrologue “savant” lui-même (par opposition aux astro-charlatans tartares qui à l’époque fleurissaient avec autant de vigueur qu’aujourd’hui) est au centre d’un débat souvent extrêmement riche pendant ces trois siècles, entre des gens qui étaient un peu comme des “honnêtes hommes” du Moyen-âge islamique, des élites intellectuelles qui étaient à la fois des philosophes, des théologiens, des mathématiciens, des musiciens et des astrologues. Ceux qui n’étaient pas astrologues eux-mêmes consultaient souvent des astrologues, et nombreux étaient ceux qui pratiquaient et étudiaient l’astrologie en solitaire, même s’ils ne se déclaraient pas comme tels.

L’idée était assez fréquente dans le monde musulman médiéval, qu’il existe diverses voies d’accès à la vérité, c’est-à-dire qu’on peut trouver chez un personnage à la fois une démarche théologique coranique, et une démarche philosophique qui peut ne pas du tout faire référence à la tradition musulmane ; enfin, ce même personnage peut également rédiger des traités entiers où il parle d’ésotérisme ou d’astrologie dans un sens beaucoup plus gnostique.

À cette époque, on trouve chez les astrologues parlant l’arabe des gens de diverses origines ethniques et de confessions religieuses diverses : arabes, persans, sunnites, chiites, juifs, chrétiens, sabéens ou mazdéens, etc. Mais le critère essentiel pour choisir son astrologue était celui de la compétence, indépendamment de son origine ethnique ou de sa religion.

Pour faire carrière comme astrologue, deux voies principales s’offraient aux candidats : la cour ou le souk, le second pouvant éventuellement mener à la première. Par la filière “cour”, il se rapprochait de la condition du poète qui recherche un mécène, les cours fonctionnant comme lieux de promotion sociale et lieux où se fabrique la notoriété professionnelle. Un astrologue devient attitré d’un personnage important du royaume grâce à la justesse de ses prédictions. Cette voie de la cour explique les nombreux déplacements des astrologues : Bagdad était la capitale des califes Abbassides, et tout astrologue arabe en quête de notoriété se devait d’y effectuer au moins un séjour, ne serait-ce que parce que Bagdad était très riche, pleine de cénacles et saturée de fonctionnaires et de commerçants fortunés. Les riches négociants avaient les moyens d’entretenir un astrologue attitré.

Le statut de l’astrologue de souk, itinérant ou installé à demeure était équivalent à celui d’un saltimbanque bonimenteur. Il pratiquait seul ou en groupe. Des documents de cette époque attestent de l’existence de ces “gangs” d’astrologues, postés régulièrement dans la même venelle, sur la même place, ou par exemple au seuil de la porte d’entrée de la mosquée des Omeyyades à la fin du Xe siècle dans le souk de Damas. Certains commer-çants comme les barbiers et et les herboristes, qui tenaient boutique, avaient certainement des connaissances en astrologie et en magie qui leurs permettaient d’exercer eux aussi le métier d’astrologue.

Ces astrologues de souk n’étaient en général pas spécialisés. À quelques connaissances lacunaires et fragmentaires en astrologie, ces “horoscopeurs” médiévaux ajoutaient dans leur pratique la numérologie arabe, la vente et la confection de talismans, diverses pratiques magiques, etc. Dans certaines cités abbassides, ils étaient parfois traités comme un corps de métier à part entière. Il s’agissait alors pour les édiles de réglementer leurs agissements publics, mais généralement ce n’était pas la fonction de l’astrologue elle-même qui était visée, mais les escroqueries possibles dont pouvaient se rendre coupables certains membres de ce corps de métier. C’est d’ailleurs dans les souks qu’est progressivement née l’idée selon laquelle ceux qui prédisent l’avenir peuvent menacer l’ordre public à cause des charlatans-escrocs qui pullulaient dans leurs rangs. L’astrologie a tôt fait partie intégrante de la socioculture générale des élites abbassides, alliant indissociablement qualités morales et esthétiques à un savoir éclectique. l’échelle sociale, du calife au quidam et l’écart des revenus entre les plus riches des astrologues de cour et les plus pauvres des astrologues de souk est de 1 à 800 dans la deuxième moitié du IXe siècle.

Les plus riches étaient bien entendu ceux qui maîtrisaient le mieux l’astrologie “mondiale. La part de l’astrologie mondiale était en effet énorme : on sait que ceux qui jouaient un rôle politique, qui devaient entreprendre ou décider guerres, batailles, mariages stratégiques constituaient la clientèle par excellence des astrologues. Des gens avisés, rompus à l’exercice du pouvoir et aux intrigues de cour : pas vraiment des esprits faibles ni des fêlés. Ces gens-là pouvaient interroger les astrologues sur la météo quand ils organisaient une chasse, sur le moment propice pour entamer une campagne militaire, ou sur les questions portant sur l’issue d’un mariage avec la princesse d’un royaume voisin. Certains astrologues se sont même mis à calculer la durée de vie de telle ou telle dynastie, et même, O sacrilège, celui de la religion musulmane (Haroun AI Rachid, calife de Bagdad rendu célèbre par les Mille et une Nuits, avait ordonné à son vizir de faire composer à des astrologues un ouvrage comportant des horoscopes pour toutes les circonstances de la vie et pour cela avait fait venir à Bagdad des spécialistes de Byzance, d’Inde, de Perse). Certains gouvernement étaient capables de subir l’extrême pour se conformer aux prévisions de leurs astrologues (un calife fatinide du Xe siècle fit creuser un souterrain et disparut sous terre pendant un an parce que son horoscope marquait une période où il était en danger de mort, et abandonna même le pouvoir à son fils pendant cette période).

On recourait aussi aux astrologues pour la fondation des villes et bâtiments. La construction de la grande mosquée des Omeyyades à Damas débuta au moment exact défini par les astrologues, et dix-huit ans s’écoulèrent entre la décision de la construire et la pose de la première pierre, uniquement parce que les astrologues du calife avaient décidé que c’était le moment le plus favorable !

Les astrologues de cour étaient protégés, mais ils pouvaient aussi tomber en disgrâce. Une erreur de calcul dans les pronostics n’entraînait en général aucune sanction : une fois l’erreur reconnue et les nouveaux calculs faits, l’assistance attendait les nouvelles prédictions et la nouvelle échéance qu’elles promettaient avec confiance, L’astrologue avait donc droit à l’erreur. Rares ont été les astrologues persécutés par l’État, Au début du XIe siècle, le calife fatimide El Hakim (qui faisait lui-même de l’astrologie !), interdit bien, dans un mouvement d’humeur ou de déception, l’étude de l’astrologie et fit expulser du Caire ceux qui s’y adonnaient, mais cet acte fut jugé par ses contemporains comme un acte de folie.

Les documents historiques font également état de manipulations d’astrologues par les princes et vice-versa, ce qui n’a rien d’étonnant, dans la mesure où la croyance en l’astrologie faisait l’objet d’un consensus quasi-général parmi les gouvernement, amis ou ennemis. Ainsi les astrologues participaient-ils aux intrigues de cour, et pouvaient-ils subtilement mais puissamment influer sur leur souverain. L’astrologue attaché à un calife pouvait aussi intoxiquer astrologiquement un confrère sous la gouverne d’un ennemi, et être intoxiqué par lui par le canal des diagnostics ou pronostics astrologiques.

Astrologie et médecine

Parmi les médecins des villes, il en est dont l’ignorance est considérable et dont l’intelligence est incapable de reconnaître les choses qui leur sont indispensables. S’ils avaient lu les livres des médecins, ils auraient su que l’astrologie est utile à leur art et qu’ils en ont besoin. Il y a des jours déterminés, des jours critiques au moment desquels les médecins ont besoin d’examiner l’état du patient, sa force ou sa faiblesse ; le renforcement ou l’affaiblissement de la maladie. Or c’est d’après celle-ci qu’ils déterminent ces choses. Hippocrate et Galien, les deux sages, traitent de cela dans leurs livres, et tous les savants en médecine de l’antiquité ont dit que la science des astres se trouve au principe de la science médicale” (Abou Marchar).

Dans les ouvrages proprement médicaux qui ont été écrits pendant l’antiquité grecque, il y avait fort peu d’éléments pouvant encourager le recours à l’astrologie. Néanmoins, ceux qui ont voulu utiliser l’astrologie en médecine se sont référés à une ou deux phrases tirées des ouvrages d’Hippocrate et à une partie d’un livre de Galien. En effet, dans un de ses ouvrages, Hippocrate a une phrase qui sera inlassablement citée par les astrologues médiévaux : “La science des astres, loin d’être d’une petite utilité au médecin, lui apporte beaucoup.” En fait, ce qu’Hippocrate avait dans l’esprit, c’est davantage le rythme des saisons. Dans l’ensemble des ouvrages hippocratiques, il y a très peu de manifestations d’une connaissance astronomique très poussée, pas du tout d’astrologie, mais en revanche Hippocrate portait grande attention aux saisons, et donc à la détermination des saisons en fonction du cours des astres. Chez Galien, la part de l’astrologie était un peu plus grande, quoique fort restreinte aussi. Il fait mention de l’astrologie comme un recours possible pour le médecin pour déterminer les jours critiques et les cycles des maladies aiguës. Il écrit par exemple que le Soleil régit les maladies chroniques et la Lune les maladies aiguës. Dans le monde médical arabe, il y a eu très tôt un débat opposant Pro et anti-astrologues. En effet, si les textes grecs purement médicaux ne traitaient que marginalement de l’influence astrologique sur la santé, les textes spécifiquement astrologiques abordaient très largement les relations entre astres, corps humain et maladies. Il y avait toute une gradation entre les astrologues-médecins, comme Abou Marchar, pour lesquels l’astrologie apportait à la médecine la certitude du diagnostic, et les médecins anti-astrologues, comme Avicenne, qui refusaient tout recours à l’astrologie. Comme tout penseur médiéval, Avicenne croyait certes à l’influence des astres sur le monde terrestre, mais il pensait que l’homme ne pouvait pas connaître cette influence. Il refusait ainsi toute validité scientifique à l’astrologie et conseillait aux médecins, dans ses traités, de ne pas s’occuper des “causes lointaines”, et donc de laisser complètement tomber l’astrologie dans leur pratique de la médecine :

Nous savons sûrement que le froid et le chaud appartiennent comme qualités aux quatre Éléments et aux objets mondains composées de ces Éléments. Mais au contraire, que les corps célestes et leurs orbites sont d’une nature toute opposée, et que n’étant pas liés à ces qualités ni composés d’éléments terrestres, ils portent le nom de cinquième élément. Quant à cette affirmation que tout événement terrestre qui subit l’influence de Saturne est froid et malheureux, mais que ses qualités n’appartiennent pas au corps céleste lui-même, qu’il en est de même des autres vertus accordées aux autres planètes, nous n’avons à y répondre que ceci : ces assertions manquent de toute preuve et de toute démonstration. Qui peut savoir si le froid de la terre vient de Saturne et le chaud de Mars et ainsi de suite des autres qualités qu’ils attribuent aux corps célestes ? Bien qu’il soit certain que les étoiles exercent une certaine influence sur les choses du monde, il est pourtant bien hasardeux de préciser cette influence et de dire s’il produit le froid ou le chaud ou tout autre effet.” (Grande réfutation des astrologues par Avicenne).

La majorité des médecins au Moyen-âge arabe se sont en fait situés entre ces deux extrêmes, ce qui n’était pas toujours le cas pour leurs patients. Exemple : au temps d’Haroun Al Rachid, une femme fortunée avait installé dans son palais une salle qui était réservée à la rencontre des médecins et des astrologues lorsqu’elle était malade. Ils discutaient et s’ils n’arrivaient pas à se mettre d’accord, cette femme avait décidé que c’était l’astrologue qui avait le dernier mot. La littérature de l’époque met beaucoup en avant la rivalité entre médecins et astrologues, en donnant souvent l’avantage aux seconds.

L’apport principal des Arabes en astrologie médicale (plutôt qu’en médecine astrologique) fut de fonder par des textes systématiques la technique astrologique appliquée à la médecine. Les principes théoriques sont simples : les corps célestes influencent tout ce qui est ici-bas. Il y a une unité profonde dans le monde sublunaire, tout est formé à partir des quatre éléments. Dans le corps humain, on peut isoler quatre humeurs : la bile, le sang, le flegme et la mélancolie, et ces quatre humeurs sont conne le dit un auteur arabe les “filles des Éléments”. Donc les humeurs, comme toute partie du corps, si petite soit-elle, sont en relation étroite avec les Éléments originels, d’où : le sang est chaud et humide, etc. L’astrologie médicale était ainsi parvenue à “prévoir” grâce au ciel de naissance toutes les maladies imaginables. Exemple particulièrement croquignolet :

Les épileptiques sont ceux dans la nativité desquels la Lune n’est pas en union avec Mercure, ni aucun de ceux-ci n’est en union avec l’Ascendant. Avec cela que Saturne, dans les nativités diurnes soit dans un point cardinal, ou Mars dans les nativités nocturnes. Quant aux déments, ils ont les mêmes causes, sauf que Saturne soit en quelque Angle dans une nativité nocturne, ou la Vierge ou les Poissons.

On comprend mieux ainsi les préventions d’Avicenne à l’égard de l’astrologie médicale. Les astro-médecins arabes utilisaient également les secteurs de la sphère locale, et plus précisément deux Maisons importantes à leurs yeux : la première Maison ou Ascendant qui détermine les caractéristiques physiques de l’individu, et la sixième dans laquelle on place traditionnellement les maladies. Comme on le voit, les astro-médecins actuels sont les dignes successeurs des astrologues arabes !

Dans les ouvrages de médecine astrologique, l’astrologie peut être utilisée comme connaissance des agents de modification du climat général pouvant induire des problèmes de santé particuliers (qualité de l’air, météo, vents, etc.), ou encore dans la théorie des “jours critiques”, pour les saignées par exemple.

Jointe à la numérologie déguisée en pseudo-Théorie des âges prénatale, l’astro-médecine arabe s’est singularisée en se penchant sur le développement du fœtus : Hippocrate disait en effet que le fœtus de 7 mois était viable, mais pas celui de 8 mois, en se fondant sur des arguments qu’il pensait comme rationnels et purement médicaux. Sous l’influence probable de textes hermético-astrologiques, les astrologues arabes ont développé à sa suite une théorie selon laquelle le fœtus de 8 mois n’était pas viable, à cause de l’influence de Saturne qui s’exerçait selon eux pendant le huitième mois. En effet, à chaque mois de la grossesse était attribuée arbitrairement l’influence d’une planète (1er mois sous l’influence de Saturne, puis les autres planètes jusqu’au 7e, puis le 8e mois était à nouveau sous l’influence maléfique (refroidissement et déssèchement) de Saturne… C.Q.F.D. !)

Notons toutefois que ceux qui revendiquaient à la fois le statut de médecin et celui d’astrologue, y compris les plus illustres, faisaient en général un usage très modéré de l’astrologie médicale. On souhaiterait que ceux qui la pratiquent aujourd’hui aient la même modération et une prudence similaire : après tout, l’expérience a clairement démontré depuis Avicenne que la plupart des recettes médicales de l’astrologie sont fausses, archi-fausses… À suivre…

La transmission du savoir astrologique arabe à l’occident médiéval

Au XIIe siècle en Occident, l’Église exerce un magistère spirituel et intellectuel quasi absolu. L’astrologie a depuis de nombreux siècles été éradiquée de l’univers cognitif des peuples européens. La transmission du savoir astrologique arabe à l’Occident médiéval se fait au XIIe siècle par l’intermédiaire des régions longtemps occupées par les Arabes, par le biais de traductions arabo-latines et par deux voies essentielles : l’Espagne musulmane et la Sicile. En Espagne le mouvement apparaît dans la première moitié du XIIe siècle et en Italie un peu plus tard, et continue jusqu’au XIIIe siècle en Italie.

Ces traductions se font au départ grâce au mécénat de l’archevêque de Tolède en Espagne (l’invasion de l’Espagne par les Arabes a porté ses fruits astro-philosophiques) et du roi Roger II de Sicile. Les traducteurs pour la plupart ne connaissaient pas la totalité des langues qu’ils devaient traduire ; en Espagne par exemple, ils traduisaient la plupart du temps de l’arabe en castillan, puis un deuxième traducteur traduisait du castillan en latin, ce qui pouvait altérer sensiblement la signification de ces textes déjà traduits du grec à l’arabe… C’est à Jean de Séville et à Herman de Carinthie qu’on doit la traduction des œuvres complètes d’Abou Marchar, principal astrologue arabe, qui fera assez longtemps figure de référence en Occident.

Il y a quatre parties fondamentales dans l’astrologie telle qu’elle est transmise par les traductions arabo-latines : les Nativités, c’est-à-dire des horoscopes de naissance fondés sur le ciel natal ou celui de conception ; les Révolutions, qui se subdivisent en deux sous-parties : l’étude des horoscopes de révolutions annuelles (révolutions solaires), permettant de faire des prévisions annuelles fondées sur l’étude de l’horoscope de l’équinoxe de printemps ou celui de la lunaison qui a précédé cet équinoxe, et les Conjonctions qui jouent un rôle fondamental dans l’astrologie arabe, fondée sur une doctrine d’origine sassanide voyant dans les conjonctions des planètes supérieures, notamment Saturne et Jupiter, la cause essentielle de toute une série d’événements fondamentaux dans l’histoire humaine tant sur le plan religieux, politique que météorologique. Troisième catégorie : les Élections, c’est-à-dire le choix du moment le plus favorable pour entreprendre telle ou telle chose : fonder une ville, se marier, déclencher une guerre, etc. Quatrième catégorie : les Interrogations, qui impliquent l’existence d’une clientèle fortunée voulant poser une question précise à un astrologue sur un point en général très concret : “J’ai perdu mon bréviaire, où se trouve-t-il ? Ma femme me trompe-t-elle et avec qui ? Etc.” C’est en fait une théorisation systématique de l’astrologie horaire.

L’Église tolère relativement, au XIIe siècle, les deux premières catégories, mais assimile les deux autres à la superstition et donc les condamne. Les premières oppositions théologiques naissent au XIIIe siècle, lorsque le déterminisme astral enseigné par l’astrologie arabe a accouché d’un déterminisme absolu ou presque, incompatible avec la doctrine de l’Église, ce qui a abouti aux condamnations de l’astrologie en 1270 et 1277 par l’évêque de Paris. Face à ces condamnations de théologiens néo-augustiniens, il y eût des tentatives d’accord entre la philosophie arabe et la théologie chrétienne, notamment de la part d’Albert le Grand dans son Speculum Astronomiae (vers 1265), très favorable à l’astrologie, et celle de son élève Thomas d’Aquin à travers la fameuse formule “les astres inclinent mais ne nécessitent pas”.

Ces condamnations ecclésiastiques n’eurent apparemment qu’un effet mitigé sur les souverains. Tel chroniqueur anti-astrologue de l’époque estimait certes qu’“un roi doit avoir ferme espérance en Dieu et délaisser et fuir toute sorcellerie et les jugements de sorts des ‘bonnes heures’ et autres superstitions que Astronomia conseille, et doit suffire l’espérance en Dieu et le bon gouvernement en justes querelles de mener et à fournir de justes entreprises”, mais un autre chroniqueur écrivait aussi :

Si un Roi voulait sagement vivre, il assemblerait cinq bons astronomiens, les mieux renommés en expérience qu’on pouvait trouver et ferait savoir le temps, mois, jour et heure de sa nativité, et leur baillerait par écrit en leur requérant que sur ce, ils fassent une figure comme en accoutumée, pour savoir les bonnes et mauvaises inclinations, à quoi par le jugement des étoiles il serait enclin, et leur ferait jurer de lui en dire vérité sans épargne, afin qu’il puisse multiplier les bonnes conditions à quoi il soit enclin et obvier, par le conseil de sages, aux mauvaises conditions auxquelles il inclinerait et ainsi ferait son profit, car il poursuivrait le bien auquel il serait enclin, et bouterait dehors, par prudence, avis et conseils et bonnes œuvres, la mâle tâche à laquelle sa nativité l’aurait incliné. Et ainsi le fit Hippocrate, Alexandre, César, Pompée, Charlemagne et Trajan, l’empereur comme on le trouve écrit. Et combien que aucun dit que on ne se doit point fier en astronomiens la révérence d’eux sauve, ceci ne peut nuire au prince de se tenir en vertu et obvier à l’inclinaison de périlleuses conditions, et devient un homme meilleur, et mieux se tient en vertu continuelle.

Une pratique savante très élitiste

L’astrologie savante resta jusqu’à la fin du Moyen-Age une pratique élitiste, car il n’y avait pas d’astrologie scientifique possible sans longs et fastidieux calculs astronomiques. Or jusque vers 1320, les tables astronomiques utilisées en Occident sont des tables d’une très grande difficulté d’utilisation (Tables de Tolède ou adaptation des Tables de Tolède au méridien local). En 1320 apparaissent les Tables Alphonsines (attribuées à Alphonse X de Castille mais vraisemblablement composées par des astronomes parisiens). Elles simplifient grandement les calculs astronomiques, et l’astrologie peut ainsi se diffuser davantage dans un milieu lettré, latiniste et donc presque obligatoirement clérical. Ce n’est qu’au XIVe siècle que le roi Charles V commandera une série de traductions du latin en français de textes astrologiques.

L’astrologie, telle qu’elle fut transmise par les Arabes, connaît ensuite une véritable apogée au XVIe siècle, tant du point de vue pratique que du point de vue théorique. Il n’y a jamais eu autant d’astrologues de cour, d’horoscopes individuels (voir la correspondance de Nostradamus avec une clientèle extraordinairement variée dans tout l’Occident). Mais en même temps, il y a recentrage de l’astrologie vers ses origines grecques. La Renaissance amène une meilleure connaissance de la langue grecque, et donc un retour aux textes grecs de Ptolémée, ce qui amène un relatif discrédit de l’astrologie arabe. À partir de 1524–1525 environ, Abou Marchar, qui était à égalité avec Ptolémée comme référence chez les astrologues occidentaux, perd de son crédit. Au XVIIe siècle le recul de l’astrologie arabe est encore plus net, notamment à la suite du fiasco particulièrement lamentable des prédictions relatives à la conjonction Jupiter-Saturne de 1524 en Signe d’Eau (Poissons) qui aurait dû aboutir, selon une majorité d’astrologues, à un second déluge. La théorie arabe traitant des effets, au moins météorologiques, des “grandes conjonctions”, fut ainsi spectaculairement réfutée.

Au niveau des universités la transmission de l’astrologie décline au XVIIe siècle. L’astrologie se popularise par les Almanachs, mais est de moins en moins représentée dans le cadre des universités parce que considérée comme incompatible, non seulement avec la doctrine chrétienne traditionnelle, mais aussi avec la nouvelle vision du monde physique issue des Lumières, et l’astrologie arabe ne sera bientôt plus qu’un lointain souvenir…

Article paru dans les n° 4 & 5 du Fil d’ARIANA (octobre 1996 & avril 1997).



Cet article vous a été proposé par Richard Pellard

Voir aussi :

▶ Une brève histoire de l’astrologie occidentale
▶ Une nouvelle traduction et édition de la Tétrabible de Ptolémée
▶ Johannes Kepler, astrologue et astronome
▶ Nostradamus, astro-prophète ou voyant mythomane ?
▶ Une brève histoire des Aspects interplanétaires
▶ Le monde selon Claude Ptolémée, astronome-astrologue et phare d’Alexandrie
▶ L’astrologie et le Bouddhisme
▶ Astrologie et religion : savoir ou croire ?
▶ Astrologie conditionaliste et spiritualité
▶ R.E.T. et théologie chrétienne
▶ L’anti-astrologisme chrétien


Les significations planétaires

par Richard Pellard

620 pages. Illustrations en couleur.

La décision de ne traiter dans ce livre que des significations planétaires ne repose pas sur une sous-estimation du rôle des Signes du zodiaque et des Maisons. Le traditionnel trio Planètes-Zodiaque-Maisons est en effet l’expression d’une structure qui classe ces trois plans selon leur ordre de préséance et dans ce triptyque hiérarchisé, les Planètes occupent le premier rang.

La première partie de ce livre rassemble donc, sous une forme abondamment illustrée de schémas pédagogiques et tableaux explicatifs, une édition originale revue, augmentée et actualisée des textes consacrés aux significations planétaires telles qu’elles ont été définies par l’astrologie conditionaliste et une présentation détaillée des méthodes de hiérarchisation planétaire et d’interprétation accompagnées de nombreux exemples concrets illustrés par des Thèmes de célébrités.

La deuxième partie est consacrée, d’une part à une présentation critique des fondements traditionnels des significations planétaires, d’autre part à une présentation des rapports entre signaux et symboles, astrologie et psychologie. Enfin, la troisième partie présente brièvement les racines astrométriques des significations planétaires… et propose une voie de sortie de l’astrologie pour accéder à une plus vaste dimension noologique et spirituelle qui la prolonge et la contient.

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Pluton planète naine : une erreur géante

par Richard Pellard

117 pages. Illustrations en couleur.

Pluton ne fait plus partie des planètes majeures de notre système solaire : telle est la décision prise par une infime minorité d’astronomes lors de l’Assemblée Générale de l’Union Astronomique Internationale qui s’est tenue à Prague en août 2006. Elle est reléguée au rang de “planète naine”, au même titre que les nombreux astres découverts au-delà de son orbite.

Ce livre récapitule et analyse en détail le pourquoi et le comment de cette incroyable et irrationnelle décision contestée par de très nombreux astronomes de premier plan. Quelles sont les effets de cette “nanification” de Pluton sur son statut astrologique ? Faut-il remettre en question son influence et ses significations astro-psychologiques qui semblaient avérées depuis sa découverte en 1930 ? Les “plutoniens” ont-ils cessé d’exister depuis cette décision charlatanesque ? Ce livre pose également le problème des astres transplutoniens nouvellement découverts. Quel statut astrologique et quelles influences et significations précises leur accorder ?

Enfin, cet ouvrage propose une vision unitaire du système solaire qui démontre, chiffes et arguments rationnels à l’appui, que Pluton en est toujours un élément essentiel, ce qui est loin d’être le cas pour les autres astres au-delà de son orbite. Après avoir lu ce livre, vous saurez quoi répondre à ceux qui pensent avoir trouvé, avec l’exclusion de Pluton du cortège planétaire traditionnel, un nouvel argument contre l’astrologie !

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